mardi 15 janvier 2008

L’humeur - Sarkozy : le grand tournant

Objections - n°13 - janvier 2008 - page 6

L’humeur - Sarkozy : le grand tournant

Sarkozy a-t-il été touché par la grâce de Noël ? L’ironie n’est pas de mise ici : le discours qu’il a tenu à Saint-Jean-de-Latran, lors de sa visite au Vatican, constitue à plusieurs égards une véritable rupture avec les politiques de méfiance et d’hostilité latente au catholicisme qu’avaient conduites ses prédécesseurs, Mitterrand et Chirac.


On se souvient des tentatives socialistes pour étouffer l’enseignement libre – objectif en grande partie atteint aujourd’hui –, des oppositions virulentes qui s’étaient exprimées lors des visites en France de Jean-Paul II et, bien sûr, du refus de Jacques Chirac de reconnaître les racines chrétiennes de l’Europe.

On peut, certes, critiquer tel ou tel point du discours. Exemple ? Le président de la République exagère sans doute lorsqu’il déclare que Clovis fut le premier souverain chrétien : l’empereur Constantin était venu avant lui. Clovis, en revanche, fut l’instrument de la victoire du catholicisme contre l’arianisme. Peu importe. Ces déclarations ont une portée considérable. Par elles, le chef de l’État renoue le fil d’une histoire d’amour filial, que certains voudraient briser : celle de l’Église et de la France. On notera aussi que, ce faisant, il renoue le fil de l’histoire de la France elle-même, qui ne commence pas en 1789. Il n’est pas indifférent que Sarkozy inscrive explicitement son intronisation comme chanoine d’honneur de Saint-Jean-de-Latran dans une tradition initiée par Henri IV, encore moins qu’il revendique pour la France l’héritage de Clovis. Qui se souvient de l’hostilité qui s’exprima lors de la venue en France de Jean-Paul II pour le 1500ème anniversaire du baptême de ce roi, saluera l’audace de ce geste. Du sein même de l’Église de France, des voix s’étaient alors élevées pour empêcher le pape de parler du baptême de la France. Sarkozy charge en terrain miné…

Du reste, même lorsqu’il évoque la laïcité, le président de la République rappelle quelques réalités difficiles à entendre dans certains milieux laïcs : « La laïcité, dit-il, ne saurait être la négation du passé. La laïcité n’a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a tenté de le faire ; elle n’aurait pas dû. Comme Benoît XVI, je considère qu’une nation qui ignore l’héritage éthique, spirituel, religieux de son histoire, commet un crime contre sa culture, contre ce mélange d’histoire, de patrimoine, d’art et de traditions populaires, qui imprègne si profondément notre manière de vivre et de penser. Arracher la racine, c’est perdre la signification, c’est affaiblir le ciment de l’identité nationale, c’est dessécher davantage encore les rapports sociaux qui ont tant besoin de symboles, de mémoire. C’est pourquoi nous devons tenir ensemble les deux bouts de la chaîne : assumer les racines chrétiennes de la France, et même les valoriser, tout en défendant la laïcité, enfin parvenue à maturité : voilà le sens de la démarche que j’ai voulu accomplir ce soir à Saint-Jean-de-Latran. »

Il est certes permis de douter de la solidité du deuxième bout de la chaîne, et de ne pas tenir la laïcité, contrairement à ce que dit encore le président de la République, pour une « condition de la paix civile ». Du moins la laïcité telle qu’elle est présentée aujourd’hui : une religion en creux qui s’exprime par son hostilité à l’ensemble des religions, et particulièrement au catholicisme. Il pourrait en aller différemment si l’État laïc reconnaissait, comme le fait Sarkozy, la part essentielle qu’a eu le catholicisme à la construction de la France – autrement dit, en quelque sorte, sa primauté historique. Reste que cette laïcité-là n’est pas parvenue à maturité. Avec un courage qu’il faut saluer, le président de la République lance un chantier de reconstruction.

Pierre Voisin