mardi 15 janvier 2008

C’est à lire - La vie intérieure de Maurras

Objections - n°13 - janvier 2008 - page 4

C’est à lire - La vie intérieure de Maurras

On vient d’éditer, sur 800 pages, la correspondance échangée pendant 43 ans entre Charles Maurras et Mgr Jean-Baptiste Penon, évêque de Moulins. Occasion de revenir sur le projet maurrassien, mais surtout sur l’agnosticisme personnel et sur la quête intérieure de Charles Maurras.

Au commencement de tout, il y a un jeune orphelin de père supérieurement doué, qui devient sourd à l'âge de 14 ans. Il sent que la vie se ferme à ses appétits en éveil. Il pressent la fin. Incapable de suivre le moindre cours collectif, il ne pourra pas avoir accès à la culture que réclame sa précoce intelligence. Il se trouve qu'un jeune prêtre de 35 ans, « le meilleur helléniste du diocèse » dit-on, a entendu parler de ce gâchis. L'abbé Penon enseigne dans les grandes classes. Peu importe ! Il se chargera du jeune Charles, qui, sans aucun débordement inutile, le considère désormais comme une sorte de second père. C'est à cet abbé Penon, point timoré, que l'on doit la montée à Paris, à l'âge de 17 ans, du jeune Charles, les premières recommandations (en particulier aux Annales de Philosophie chrétienne) et les premiers articles du poulain-prodige : « Je ne quitte jamais son tombeau de Simiane, où je vais plusieurs fois par an, écrit Maurras en 1945, sans lui rendre l'hommage que Jacques Bainville était bien moins fondé à m'adresser : “Hors le jour, je lui dois tout” ».

Mgr Penon est bien l'image du père pour le jeune journaliste. « Cher Maître », Charles lui écrira toute sa vie, en lui donnant le titre que l'on ne tarde pas à lui reconnaître à lui-même, autour de Saint-Germain-des-Prés, dans ce Café de Flore où, coquetterie 1900, se pensait et se rédigeait cette Revue Grise que fut la première Action Française. Jusqu'à sa mort, Maurras appelle Penon « Cher Maître », comme pour reconnaître son autorité, si bénéfique, sur sa jeune vie.

Cette correspondance Penon-Maurras, on l'aura compris, n'est donc pas anecdotique : elle a lieu entre un fils et son père d'élection. Comme à un père, le jeune homme se confie. Comme à un père, il ne dit pas tout, loin de là. Il garde pour lui (et, bien plus tard, pour les lecteurs du Mont de Saturne) ses premières fredaines. Entre ce père spirituel et ce fils turbulent, curieux de tout, vibrant à tout, prêt à tous les paroxysmes, ce qui domine, avec une confiance mutuelle qui semble inépuisable, c'est une incompréhension quasi totale. Notons au passage que Maurras sera monarchiste de la même façon qu'il fut fidèle à son ancien maître : avec toute sa confiance envers les Princes successifs, mais dans une perpétuelle incompréhension. Je crois que c'est avant tout cette indifférence d'un jeune intellectuel aux avis du père, pourtant reconnu comme tel, qui fait l'intérêt extraordinaire de la pensée maurrassienne. Chacun d’entre nous n’est-il pas tenu de conjuguer à sa manière la liberté et la fidélité ?

Abbé G. de Tanoüarn


Dieu et le Roi, Correspondance entre Charles Maurras et l'abbé Penon (1883-1928) présentée par Axel Tisserant, éd. Privat 2007, 752 pp. (avec index), 30 euros.