mardi 15 janvier 2008

En communion ou pas ? - Abbé G. de Tanoüarn

Objections - n°13 - janvier 2008 - pages 1 et 2

En communion ou pas ? - Abbé G. de Tanoüarn

Je recevais tout récemment une lettre d'un évêque. Je ne vais pas le nommer parce que je n'ai pas l'habitude de moucharder. Mais sa réaction écrite m'a paru tellement caractéristique que je ne résiste pas à vous la faire connaître. Et puis, vous êtes un peu concernés, comme vous allez le voir ! Notez simplement qu'il vous donne lui-même une indication sur l'emplacement géographique de son diocèse. « Vous n'êtes pas en communion avec les évêques d'Île-de-France, comme le prouve la revue Objections ». Et d'ajouter, pour que la mesure soit bien pleine, que cette communion ne risque pas d'advenir « avant plusieurs années ».

Je me demande donc ce qui me vaut cette excommunication latae sententiae… Je cherche. Il est vrai que nous nous intéressons beaucoup aux évêques en ce moment, à leur bon et aussi – hélas – à leur mauvais vouloir. Il est vrai que nous en écrivons : l'Église de France n'est pas, que je sache, une Église du silence. Nous parlons des évêques avec le respect nécessaire lorsqu'on évoque les successeurs des apôtres. Avec un souci d'exactitude aussi et de justice dans ce que nous en rapportons (pour avoir publié une fois un renseignement faux, qui me valut une lettre mémorable de l'un d'entre eux, je sais ce qu'il en coûte de tolérer l'à-peu-près ou le manque de rigueur dans l'information). J'ajoute – mais c'est sans doute personnel – un immense désir de leur être agréable…

Hélas, ce désir n'est pas compris, au moins du scripteur de cette lettre, qui utilise de grands mots, cherchant sans doute de grands remèdes.

La question que je me pose porte justement sur l'un de ces grands mots : communion. Est-il possible lorsqu'on est en communion avec le pape de ne pas être en communion avec les évêques d'Île-de-France ? Est-il possible lorsqu'on est manifestement en communion avec la plupart des évêques d'Île-de-France de ne pas l'être… du tout, à cause de l'un d'entre eux ?

Et puis il y a une question subsidiaire : faut-il vraiment que je m'administre à moi-même ces grands remèdes qui appellent les grands mots ?

Je suis membre de l'Institut du Bon Pasteur, créé par la volonté de Benoît XVI (comme l'a souligné à plusieurs reprises le cardinal Ricard). Je suis donc prêtre, incardiné dans la Commission Ecclesia Dei à Rome, ayant signé, un an avant la création de l’Institut, un “acte d'adhésion”, par lequel je m'engageai à « une critique constructive » de Vatican II. Ces actes forts du pape Benoît XVI, je les ai pris comme une feuille de route, à son service. On ne peut les remettre en cause qu'en contestant son autorité souveraine. – Mais me direz-vous, un évêque peut défaire ce qu'un autre évêque a fait. – Certes, mais le pape n'est pas que l'évêque de Rome. Il est la source de tout pouvoir dans une Église, dont il garantit l'universalité, au-delà des particularités locales. Un évêque ne peut donc défaire ce que le pape a fait.

Comment concevoir en effet cette communion à deux vitesses, qui serait d'une part, en Pierre et en son successeur, une communion à l'Église universelle, et d'autre part, en tel évêque, une communion à l'Église locale ? Et comment concevoir que ces deux communions subsistent séparément et qu'elles puissent ne pas s'identifier l'une à l'autre dans la communion au successeur de Pierre ? Communion à vitesse papale, communion à vitesse épiscopale, ce concept paraît proprement inconcevable. Un cercle carré. À moins d'imaginer (horresco referens) que l'évêque ne soit pas, lui-même, en communion avec le pape. Dans un document de 1993, La notion de communion, le cardinal Ratzinger, temporibus illis, a bien montré que la communion à l'Église locale n'a de sens qu'en tant qu'elle exprime la communion à l'Église universelle.

Mais pourquoi faut-il que, dans leur pastorale, certains parmi les évêques français (d'autres noms encore me viennent à l'esprit) semblent défendre l'idée saugrenue que l'on peut être en communion avec l'Église universelle sans pour autant être en communion avec l'Église locale ? Pourquoi faut-il qu'ils se donnent l'air d'ajouter des conditions de communion à celles que le pape a établies ?

Après le Concile, en 1971, en pleine crise progressiste, à propos de l'Église de Hollande, le pape Paul VI a évoqué à plusieurs reprises des « ferments schismatiques ». Il ne faudrait pas que ces ferments aient levé dans la pastorale de certains évêques de France.

Nous devons tous faire attention aux mots que nous utilisons, pour que le porteur de zizanie dont parle l'Évangile – inmicus homo – ne profite pas de différends humains, trop humains, pour en faire autant de déchirures dans la tunique sans couture.

Tout cela est bel et bon, direz-vous, mais il reste un vrai problème : celui de la concélébration. Si vous ne souhaitez pas concélébrer avec nos évêques, n'est-ce pas un signe infaillible d'une carence de communion ? Et les évêques qui utilisent ce grand mot n'ont-ils pas raison de le faire ?

L'objection est importante ; elle ne peut être prise à la légère.

Il faut souligner qu'il existe un lien profond entre l'ecclésiologie et la théologie des sacrements. Sans forcément réduire la communion ecclésiale à sa dimension eucharistique, comme le fit naguère l'orthodoxe Jean Zizioulas, il importe de poser que la fin de l'eucharistie (ce que les thomistes appellent res et sacramentum), c'est l'unité de l'Église, en tant qu'elle représente son efficacité salvifique. Si le Royaume de Dieu advient, c'est par l'autel et en quelque sorte sur l'autel qu'il advient, ainsi que le disait souvent Mgr Lefebvre. Sans l'eucharistie, qui est l'Emmanuel de Dieu, Dieu avec nous, il n'y a plus d'Église.

Dans cette perspective, il n'est pas facultatif, ainsi que j'ai eu l'occasion de l'écrire à plusieurs reprises, de reconnaître la légitimité de la forme nouvelle du rite latin, qui, parce qu'elle est proclamée par un pape au nom de l'Église, est essentiellement valide.

– Mais alors, direz-vous encore, qu'est-ce qui vous empêche de concélébrer avec l'évêque dans ce rite essentiellement valide ?

– Certains invoqueront le devoir de cohérence avec notre vécu antérieur et par conséquent avec les positions de la Fraternité Saint Pie X. Cette raison existentielle est une mauvaise raison. Je ne souhaite pas avoir mis la main à la charrue et que l'on me prenne en flagrant délit de rétrovision… Il faut regarder droit devant soi et mesurer la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui encore. Cet évêque qui excommunie ses frères chrétiens en lousdé nous permet, sans doute bien malgré lui, de mieux mesurer l'opacité des problèmes dans lesquels nous nous débattons. Essayons de mettre un peu de lumière sur tout cela, sans céder aux passions qui, depuis que le monde est monde, aigrissent si souvent les questions religieuses.

Il me semble qu'il y a trois raisons qui, aujourd'hui, empêchent les prêtres du Bon Pasteur de concélébrer dans la forme nouvelle du rite latin.

La première ? Les statuts de notre communauté, approuvés par la Commission Ecclesia Dei et visés par le pape, nous garantissent « l'usage exclusif » de la forme traditionnelle du rite latin, reconnu comme notre « rite propre ». il ne s'agit pas seulement pour nous d'un droit positif dont nous ferions état avant de recevoir un nouveau formulaire dont on puisse dire, selon la formule consacrée, qu'il « annule et remplace » le précédent. Ces statuts matérialisent notre contrat constitutif avec l'Église. Ils nous assignent un charisme, qui est en effet constitutif de notre vocation ecclésiale. Nous ne pouvons donc en aucun cas traiter à la légère de telles injonctions, et les évêques qui nous demandent d'y renoncer font penser à ces réactionnaires qui ont toujours besoin d'être plus royalistes que le roi et dont la surenchère porte avec elle quelque chose de vaguement dérisoire.

Deuxième argument : il concerne plus directement les prêtres souhaitant bénéficier du même privilège que l'IBP, mais ne pouvant faire état d'un droit que nous donnent nos statuts, puisque… ce ne sont pas les leurs.

Il y a, me semble-t-il, une difficulté théologique vraiment dérangeante à faire de la concélébration dans la forme nouvelle du rite latin le signe nécessaire de la communion.

D'abord, cela aboutit à nier la notion – traditionnelle dans l'Église – de rite propre. Demain si tel Patriarche orthodoxe se rattache à la Primauté romaine, faudra-t-il que la concélébration selon la forme nouvelle du rite romain vienne sceller la réconciliation entre lui et le pape de Rome ? Il me semble que cette notion canonique de rite propre est nécessaire à un œcuménisme bien tempéré. Il serait absurde de la mettre en cause au sein de l'Église latine, alors que la réunion des deux poumons de l'Église semble de plus en plus attendue.

Plus profondément, cela introduit une dualité et une préférence dans ce que le pape a appelé « l'unique rite latin sous ses deux formes », et cela au risque de rallumer la guerre des rites que le Motu proprio du 7 juillet dernier avait si fermement souhaité conjurer. Il est absurde de réclamer que les prêtres célébrant habituellement le rite traditionnel manifestent leur communion dans le rite nouveau, comme si le rite traditionnel, célébré una cum famulo tuo papa nostro Benedicto ne portait pas en lui-même une volonté efficace de communion. Exiger cette concélébration de la part de ceux qui célèbrent habituellement le rite dans sa forme traditionnelle, c'est mettre en cause, de manière difficilement tolérable, la finalité et donc la légitimité du rite traditionnel.

Et si l'on m'explique le contraire, alors, logiquement la concélébration n'est pas nécessaire.

En revanche, il importe de mettre en valeur des signes concrets de communion dans un véritable respect mutuel, qui va, bien entendu, jusqu'à une collaboration réciproque dans l'évangélisation.

Le dernier point est important : nous avons reçu le droit d'exprimer une « critique constructive de Vatican II » et des réformes qui lui font suite, parmi lesquelles, la réforme liturgique. Nous n'avons jamais caché que nous avons des critiques respectueuses à énoncer quant à la théologie de la forme nouvelle du rite, celles-là mêmes que formulèrent en leur temps les cardinaux Ottaviani et Bacci dans leur Bref Examen critique. Il est certain qu'à travers l'encyclique Ecclesia de Eucharistia comme aussi dans le document Redemptionis Sacramentum, le magistère entreprend une réévaluation à longue portée de l'œuvre liturgique de Vatican II. Nous pensons que notre propre « critique constructive » s'inscrit dans ce grand mouvement ecclésial. Nous la présentons avec humilité, mais aussi dans un grand désir de vérité.

S'il est vrai que la barque de Pierre fait eau de toutes parts, elle ne pourra se redresser que dans la mesure où elle retrouvera l'étoile polaire de sa Tradition.

Abbé G. de Tanoüarn

L’événement - 400 000 anglicans sollicitent la « pleine communion »

Objections - n°13 - janvier 2008 - page 3

L’événement - 400 000 anglicans sollicitent la « pleine communion »

La Traditional Anglican Communion (TAC) est une « communion internationale » de communautés chrétiennes – on ne peut, comme le font les intéressés, utiliser le terme d’« Églises » – de tradition anglicane mais non rattachée à la Communion anglicane dont le primat est l’“archevêque” de Cantorbéry. Les fidèles de cette « communion internationale » peuvent être dits “anglo-catholiques traditionnels”, “traditionnels” en regard de leur théologie et de leur pratique liturgique.

La TAC a fait sécession de la Communion anglicane en raison de nombreuses divergences, la principale était l’“ordination” des femmes. Elle recherche désormais la pleine communion avec Rome. Lors de sa session plénière qui s’est tenue à Portsmouth (Angleterre) dans la première semaine d’octobre 2007, les “évêques” et “vicaires généraux” de la TAC ont signé « solennellement » une « lettre adressée au Siège Romain pour rechercher la pleine et collective union sacramentelle » (communiqué du 16 octobre). La TAC compte plus de 400 000 membres répartis sur tous les continents. On comprend et l’intérêt et la prudence du Saint-Siège devant cette démarche.

Pour ce qui est de l’Anglican Church in American (ACA), cette branche de la TAC aux États-Unis a été créée en 1991 après la fusion de l’American Espiscopal Church et d’un gros tiers de l’Anglican Catholic Church. Elle regroupe une centaine de congrégations – le nombre exact des fidèles qui s’y rattachent n’est pas connu – et possède un “primat” en la personne de l’“évêque” George D. Langberg.

Les négociations de l’ACA avec Rome ont commencé en 1995, mais ont été freinées par la position du cardinal Walter Kasper, à cette époque secrétaire du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens (il en est le président depuis 2001), craignant que l’accueil de ces anglicans fournisse un signal hostile aux autres membres de la Communion anglicane…

Or, il ne s’agissait pas, dans ces négociations, d’une démarche « œcuménique » mais de la volonté de ces anglicans d’obtenir, aux conditions romaines – la charité étant sauve – la pleine communion. C’est pourquoi dès 2003 le dossier fut rattaché à la Congrégation pour la doctrine de la Foi.

La pleine communion de la TAC (et donc de l’ACA américaine) pourrait être facilitée par le précédent des « Pastoral Provision » [2] (les dispositions pastorales) prises par Jean-Paul II en 1980 à la suite des demandes de “prêtres” et de fidèles épiscopaliens américains souhaitant la pleine communion. Ces dispositions pastorales autorisent les évêques diocésains à fonder des paroisses catholiques de « rite » anglican, c’est-à-dire qui utilisent une liturgie très voisine de celle de l’anglicanisme [3] celle du Book of Divine Worship qui est une adaptation catholique du Book of Common Prayer – agréée par la Congrégation pour le culte divin et la conférence des évêques des États-Unis – paroisses administrées par d’anciens ministres anglicans qui ont été ordonnés prêtres catholiques. Ce sont donc là des “paroisses personnelles” de “rite particulier” mais catholiques latines – on en compte 7 aux États-Unis, principalement au Texas, en Caroline du Sud, en Pennsylvanie et dans le Massachusetts – qui pourraient donner quelque idée aux évêques français qui se grattent la tête pour savoir comment appliquer Summorum Pontificum… Depuis 1983, 70 anciens pasteurs anglicans ont été ordonnés prêtres catholiques et ont un ministère dans les paroisses américaines “personnelles” ou territoriales.

Si la TAC entrait dans la pleine communion de l’Église, ce serait la première fois qu’une entité anglicane serait réconciliée avec Rome depuis le schisme d’Henry VIII en 1534, cette forme de réconciliation pouvant revêtir deux formes : une administration apostolique de rite anglican ou une multiplication de paroisses personnelles sous la juridiction des évêques diocésains selon les « Pastoral Provision ». En tous les cas, une affaire à suivre…

Daniel Hamiche


[1] www.acahome.org

[2] www.pastoralprovision.org

[3] Voyez quelques exemples significatifs : www.walsingham-church.org ; www.atonementonline.com/index.php

Peut mieux faire ! - Tony Blair : un anglican de moins. Un catholique de plus ?

Objections - n°13 - janvier 2008 - page 3

Peut mieux faire ! - Tony Blair : un anglican de moins. Un catholique de plus ?

Une étude publiée par The Sunday Telegraph (23 décembre) révèle que si 25 millions de sujets britanniques se considèrent anglicans, contre 4,2 millions qui se disent catholiques, ces derniers, en nombre de pratiquants, l’emportent désormais sur les premiers (861 000 contre 852 000). C’est dans ce contexte nouveau qu’on apprend que l’ancien Premier Ministre de Sa Très Gracieuse Majesté, Tony Blair, ayant fait abjuration de l’anglicanisme, a été reçu, le 21 décembre dernier, dans l’Église, lors d’une cérémonie privée à la résidence du cardinal Cormac Murphy-O’Connor, archevêque de Westminster. Fort bien et il y a lieu de s’en réjouir. Mais aussi de poser quelques questions, ce que n’ont pas manqué de faire des associations catholiques pro-vie britanniques. J

ohn Smeaton, directeur de la Society for the Protection of Unborn Children, déclarait dès le 22 décembre que la décision de Tony Blair lui semblait « franchement bizarre. Elle nous préoccupe. Pendant ses fonctions de premier ministre [dix ans !] Tony Blair est devenu un des architectes les plus importants de la culture de mort, promouvant l’avortement, les expérimentations sur l’embryon humain – y compris sur les embryons humains clonés – et l’euthanasie passive. Nous écrivons à Tony Blair pour lui demander s’il s’est repenti des positions anti-vie dont il a été ouvertement le défenseur tout au long de sa carrière politique ». Nous attendons aussi sa réponse…

DH

C’est à lire - La vie intérieure de Maurras

Objections - n°13 - janvier 2008 - page 4

C’est à lire - La vie intérieure de Maurras

On vient d’éditer, sur 800 pages, la correspondance échangée pendant 43 ans entre Charles Maurras et Mgr Jean-Baptiste Penon, évêque de Moulins. Occasion de revenir sur le projet maurrassien, mais surtout sur l’agnosticisme personnel et sur la quête intérieure de Charles Maurras.

Au commencement de tout, il y a un jeune orphelin de père supérieurement doué, qui devient sourd à l'âge de 14 ans. Il sent que la vie se ferme à ses appétits en éveil. Il pressent la fin. Incapable de suivre le moindre cours collectif, il ne pourra pas avoir accès à la culture que réclame sa précoce intelligence. Il se trouve qu'un jeune prêtre de 35 ans, « le meilleur helléniste du diocèse » dit-on, a entendu parler de ce gâchis. L'abbé Penon enseigne dans les grandes classes. Peu importe ! Il se chargera du jeune Charles, qui, sans aucun débordement inutile, le considère désormais comme une sorte de second père. C'est à cet abbé Penon, point timoré, que l'on doit la montée à Paris, à l'âge de 17 ans, du jeune Charles, les premières recommandations (en particulier aux Annales de Philosophie chrétienne) et les premiers articles du poulain-prodige : « Je ne quitte jamais son tombeau de Simiane, où je vais plusieurs fois par an, écrit Maurras en 1945, sans lui rendre l'hommage que Jacques Bainville était bien moins fondé à m'adresser : “Hors le jour, je lui dois tout” ».

Mgr Penon est bien l'image du père pour le jeune journaliste. « Cher Maître », Charles lui écrira toute sa vie, en lui donnant le titre que l'on ne tarde pas à lui reconnaître à lui-même, autour de Saint-Germain-des-Prés, dans ce Café de Flore où, coquetterie 1900, se pensait et se rédigeait cette Revue Grise que fut la première Action Française. Jusqu'à sa mort, Maurras appelle Penon « Cher Maître », comme pour reconnaître son autorité, si bénéfique, sur sa jeune vie.

Cette correspondance Penon-Maurras, on l'aura compris, n'est donc pas anecdotique : elle a lieu entre un fils et son père d'élection. Comme à un père, le jeune homme se confie. Comme à un père, il ne dit pas tout, loin de là. Il garde pour lui (et, bien plus tard, pour les lecteurs du Mont de Saturne) ses premières fredaines. Entre ce père spirituel et ce fils turbulent, curieux de tout, vibrant à tout, prêt à tous les paroxysmes, ce qui domine, avec une confiance mutuelle qui semble inépuisable, c'est une incompréhension quasi totale. Notons au passage que Maurras sera monarchiste de la même façon qu'il fut fidèle à son ancien maître : avec toute sa confiance envers les Princes successifs, mais dans une perpétuelle incompréhension. Je crois que c'est avant tout cette indifférence d'un jeune intellectuel aux avis du père, pourtant reconnu comme tel, qui fait l'intérêt extraordinaire de la pensée maurrassienne. Chacun d’entre nous n’est-il pas tenu de conjuguer à sa manière la liberté et la fidélité ?

Abbé G. de Tanoüarn


Dieu et le Roi, Correspondance entre Charles Maurras et l'abbé Penon (1883-1928) présentée par Axel Tisserant, éd. Privat 2007, 752 pp. (avec index), 30 euros.

Facta sunt

Objections - n°13 - janvier 2008 - page 4

Facta sunt

  • Le cardinal Alfons-Maria Stickler a été rappelé à Dieu le 12 décembre dernier à l’âge de 97 ans. Dans son homélie, le pape Benoît XVI a évoqué les trois blancheurs, l’Eucharistie, le Pape, la Vierge Marie, auxquelles cet Autrichien, membre de l’ordre salésien, se réfère dans son testament spirituel. Le cardinal, qui fut Préfet de la Bibliothèque vaticane dès 1971, fut sacré évêque par Jean Paul II en 1983 et créé cardinal en 1985. Il a célébré toute sa vie habituellement la messe traditionnelle et a donné plusieurs articles au périodique américain The Latin Mass, en particulier pour prouver que la forme traditionnelle du rite n’avait jamais été interdite. Benoît XVI prendra acte de ses démonstrations sur ce point dans le Motu proprio Summorum pontificum.

  • Petit événement, passé inaperçu : le compte rendu que vient de donner Alain Besançon dans la revue Commentaires (hiver 2007-2008) à la visite du pape Benoît XVI à Istanbul (28 novembre-1er décembre 2006), Un an après l’événement, l’auteur de Trois tentations dans l’Église a eu le temps de peser les termes de son appréciation. Après avoir souligné que dans la Mosquée bleue, le pape a publiquement prié à la manière musulmane, sa conclusion est éloquente : « Le pape a perdu à Istanbul une partie de son autorité. Dans une église en proie à des tensions fortes, il n’est pas de bon augure de voir “chasser” l’ancre romaine ». Sur tout cela, voir Objections n° 8 : « Benoît XVI et le danger turc ».

  • À Amiens, Mgr Bouilleret qui refuse absolument de donner ou même de prêter une église aux traditionalistes de la Fraternité Saint Pie X, désigne le maire Gilles de Robien comme médiateur possible : « Il n’y a pas d’églises désaffectées dans le diocèse d’Amiens, placées sous ma responsabilité. Mais il y en a qui dépendent des collectivités territoriales, comme Saint-Germain, qui appartient à la ville d’Amiens. C’est au maire à prendre ses responsabilités » (Courrier picard 15 décembre). Décidément, ballottés entre les autorités civiles et les autorités religieuses, les sans-papiers de l’Église ne font pas recette pour l’instant.

  • Le Grand Orient de France s’en étrangle. Il a publié récemment une violente mise en garde contre l’Église catholique : « Voir béatifier par le Vatican des victimes religieuses de la Guerre civile espagnole, au moment même où cette grande démocratie tente avec courage d'examiner son passé douloureux ; ou encore récemment, assister au retour incroyable des indulgences plénières promises par le pape Benoît XVI, aux pèlerins de Lourdes en 2008 », cela sonne faux !
    Qui ne voit que les vertus émancipatrices dont ils se réclament sonnent faux quand il s'agit de soumettre les Hommes à un ordre éculé et non de les libérer ?
    « Le Grand Orient de France appelle à la plus extrême vigilance face à cette offensive générale qui, au nom de l’Église catholique, travaille contre l'émancipation des Hommes, contre leur Liberté ».

  • Antonietta Meo, surnommée familièrement « Nennolina », est née le 15 décembre 1930. Après la découverte d’une maladie osseuse, l’ostéosarcome, elle fut amputée d’une jambe. Elle écrivit alors des centaines de lettres à Dieu qui révèlent une vie qualifiée “d’union mystique“ au Christ. « Tu sais, disait-elle à sa mère, j’ai offert ma petite jambe à Jésus pour la conversion des pauvres pêcheurs ». Nennolina est morte le 3 juillet 1937. Le 17 décembre dernier Benoît XVI a reconnu les vertus héroïques de cette petite fille de six ans et demi. Il a déclaré qu’il espérait pouvoir conclure favorablement le procès de béatification d’Antonietta.

  • Rien dans ce numéro sur la deuxième encyclique du pape Spe salvi. Vous pouvez, pour 12 euros franco, vous procurer le CD de l’abbé de Tanoüarn « L’espérance de Benoît XVI ». Notons ici simplement que la deuxième encyclique de Benoît XVI est le premier document important qui ne comporte aucune référence au concile Vatican II. En revanche, le pape cite le rituel traditionnel du sacrement de baptême : « Que demandez-vous à l’Église de Dieu ? – La foi – Et que donne la foi ? – La vie éternelle ». Son message ? L’Église doit se recentrer sur sa prédication essentielle : la vie éternelle et le Royaume de Dieu.

C’est à voir - L’odyssée de la misère en vidéo

Objections - n°13 - janvier 2008 - page 5

C’est à voir - L’odyssée de la misère en vidéo

Golden Door évoque l’émigration sicilienne vers les États-Unis, au début du XXe siècle. L’entrée dans un « nouveau monde » – titre original du film – qui est aussi une perte de l’innocence.

Au commencement, il y a deux hommes, vêtus comme des paysans. Sales et suants, ils gravissent à pieds nus une montagne rocheuse, sans mot dire. Et pour cause : coincé dans leur bouche, un énorme caillou leur cisaille la commissure des lèvres. Pendant plusieurs minutes, ignorant tout du lieu, de l’époque ou du but de cette étrange équipée, nous sommes condamnés à observer sans comprendre, captivés par ce mystère autant que par la beauté sauvage des images.

Ainsi commence le dernier film d’Emanuele Crialese, le cinéaste italien de Respiro, qui baignera tout entier, deux heures durant, dans cet étrange alliage de réalisme et d’étrangeté. Le réalisme, c’est celui de la misère de ses protagonistes, une famille sicilienne du début du XXe siècle. Hésitant à partir en Amérique, ces gueux qui ne distinguent pas la religion de la superstition vont demander conseil à la Vierge, en allant déposer à ses pieds, en haut de la montagne, les fameux cailloux – rite qu’on imagine immémorial. Croyant avoir reçu un signe, les voilà en route pour ce pays de cocagne dont ils ignorent tout, convaincus d’aller vers une terre promise, un Canaan où coulent le miel et le lait. Pour traduire cette ignorance émerveillée, Crialese a marié au réalisme de ses personnages un ton onirique qui exprime l’irréalité, pour ces paysans qui n’ont jamais quitté leur village, de cette odyssée sur l’océan – songe qui parfois tourne au cauchemar, comme lors d’une extraordinaire scène de tempête, où l’on ne voit pas un instant les flots déchaînés, juste un étrange ballet de corps ballottés, martyrisés, entremêlés.

Mais il y aura un prix à payer pour cette entrée dans la modernité : toute une part de soi-même, la plus essentielle peut-être, laissée derrière soi à tout jamais ; et, bientôt, le consentement à une humiliation qui est une déshumanisation. Car, pour passer le sas d’Ellis Island, il leur faudra réussir des tests qui mettent en œuvre un eugénisme dans toute l’ingénuité et la bonne conscience de ses jeunes années. En ces temps d’« immigration choisie », ces scènes ont un effet ravageur, même si ce n’est pas là le propos du film : « Je n'étais pas intéressé par le récit historique ou social et encore moins par l'histoire des masses, dit le cinéaste. J'ai voulu aller à la rencontre du particulier, de l'individu qui quitte sa terre natale et, à travers ce voyage, se métamorphose d'homme ancien en homme moderne. L'homme qui part emporte avec lui peu d'objets mais tous ses morts. C'est un homme qui a vécu avec un sens aigu de l'identité et de la mémoire, la mémoire des histoires qui lui ont été transmises par son père et son grand-père. » Et Crialese ajoute : « J'ai cherché à raconter l'histoire de ces hommes d'un autre temps qui croyaient encore à l'importance du mystère, qui voyaient encore les choses qui ne se voient pas, mais qui pourtant existent. »

Si le film touche si profondément, c’est qu’il est aussi le récit du passage de l’ancien monde au nouveau, de l’âge de la simplicité à la modernité, de l’âge de l’innocence à l’âge du rationalisme, de l’âge de la foi à celui du désenchantement. Golden Door est, aussi, notre histoire.

Laurent Lineuil


Golden Door : un DVD Aventi.

L’humeur - Sarkozy : le grand tournant

Objections - n°13 - janvier 2008 - page 6

L’humeur - Sarkozy : le grand tournant

Sarkozy a-t-il été touché par la grâce de Noël ? L’ironie n’est pas de mise ici : le discours qu’il a tenu à Saint-Jean-de-Latran, lors de sa visite au Vatican, constitue à plusieurs égards une véritable rupture avec les politiques de méfiance et d’hostilité latente au catholicisme qu’avaient conduites ses prédécesseurs, Mitterrand et Chirac.


On se souvient des tentatives socialistes pour étouffer l’enseignement libre – objectif en grande partie atteint aujourd’hui –, des oppositions virulentes qui s’étaient exprimées lors des visites en France de Jean-Paul II et, bien sûr, du refus de Jacques Chirac de reconnaître les racines chrétiennes de l’Europe.

On peut, certes, critiquer tel ou tel point du discours. Exemple ? Le président de la République exagère sans doute lorsqu’il déclare que Clovis fut le premier souverain chrétien : l’empereur Constantin était venu avant lui. Clovis, en revanche, fut l’instrument de la victoire du catholicisme contre l’arianisme. Peu importe. Ces déclarations ont une portée considérable. Par elles, le chef de l’État renoue le fil d’une histoire d’amour filial, que certains voudraient briser : celle de l’Église et de la France. On notera aussi que, ce faisant, il renoue le fil de l’histoire de la France elle-même, qui ne commence pas en 1789. Il n’est pas indifférent que Sarkozy inscrive explicitement son intronisation comme chanoine d’honneur de Saint-Jean-de-Latran dans une tradition initiée par Henri IV, encore moins qu’il revendique pour la France l’héritage de Clovis. Qui se souvient de l’hostilité qui s’exprima lors de la venue en France de Jean-Paul II pour le 1500ème anniversaire du baptême de ce roi, saluera l’audace de ce geste. Du sein même de l’Église de France, des voix s’étaient alors élevées pour empêcher le pape de parler du baptême de la France. Sarkozy charge en terrain miné…

Du reste, même lorsqu’il évoque la laïcité, le président de la République rappelle quelques réalités difficiles à entendre dans certains milieux laïcs : « La laïcité, dit-il, ne saurait être la négation du passé. La laïcité n’a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a tenté de le faire ; elle n’aurait pas dû. Comme Benoît XVI, je considère qu’une nation qui ignore l’héritage éthique, spirituel, religieux de son histoire, commet un crime contre sa culture, contre ce mélange d’histoire, de patrimoine, d’art et de traditions populaires, qui imprègne si profondément notre manière de vivre et de penser. Arracher la racine, c’est perdre la signification, c’est affaiblir le ciment de l’identité nationale, c’est dessécher davantage encore les rapports sociaux qui ont tant besoin de symboles, de mémoire. C’est pourquoi nous devons tenir ensemble les deux bouts de la chaîne : assumer les racines chrétiennes de la France, et même les valoriser, tout en défendant la laïcité, enfin parvenue à maturité : voilà le sens de la démarche que j’ai voulu accomplir ce soir à Saint-Jean-de-Latran. »

Il est certes permis de douter de la solidité du deuxième bout de la chaîne, et de ne pas tenir la laïcité, contrairement à ce que dit encore le président de la République, pour une « condition de la paix civile ». Du moins la laïcité telle qu’elle est présentée aujourd’hui : une religion en creux qui s’exprime par son hostilité à l’ensemble des religions, et particulièrement au catholicisme. Il pourrait en aller différemment si l’État laïc reconnaissait, comme le fait Sarkozy, la part essentielle qu’a eu le catholicisme à la construction de la France – autrement dit, en quelque sorte, sa primauté historique. Reste que cette laïcité-là n’est pas parvenue à maturité. Avec un courage qu’il faut saluer, le président de la République lance un chantier de reconstruction.

Pierre Voisin

C’est eux qui le disent…

Objections - n°13 - janvier 2008 - page 6

C’est eux qui le disent…

  • Dans Le Monde du 21 décembre, se poursuit la polémique créée le 7 décembre par l'hebdomadaire Time, titrant sur « la mort de la culture française ». C'est Kevin Mulhoni, professeur à l'Université de Baton-Rouge en Louisiane qui, à sa manière, défend les Frenchies : « Le déclin dont parle Time frappe les Etats-Unis comme la France. Mes étudiants ne sont pas plus capables de citer cinq écrivains ou philosophes qu'ils soient Américains ou Français. Ici pour voir un film étranger, je dois faire 2 000 km et aller à New York. Quant aux cinq films nominés aux Oscars, ils ont fait le tiers des entrées de Mission impossible 3. C'est tout un Continent culturel qui sombre. Simplement, vous les Français, vous y teniez une grande place et vous y êtes encore sensibles ».

  • Comment Dieu votera-t-il se demande Patrick Sabatier dans Le Point du 20 décembre à propos des prochaines élections américaines : « Il n'est aujourd'hui pas un débat télévisé entre candidats à la présidentielle, pas une réunion publique, sans que les candidats, démocrates comme républicains, proclament leur foi. Lors du dernier débat républicain sur CNN, ceux-ci ont été sommés de dire s'ils croyaient ou non à la vérité littérale de la Bible. En août dernier 61 % des électeurs ont déclaré au centre de recherche Pew Forum qu'ils ne voteraient jamais pour un athée ou un agnostique (et pas pour un musulman non plus) ». Le Monde se pose exactement les mêmes questions en première page le... 26 décembre.

  • Découvertes récentes à Rome sous le Mont Palatin : est-ce la grotte de Romulus et Remus où ont eu lieu chaque année jusqu'au Ve siècle les fêtes des Lupercales ? Est-ce un élément du Palais d'Auguste, qui resterait en grande partie à fouiller ? Andrea Carandini, archéologue, explique au Nouvel Observateur qu'à Rome « tout est encore à découvrir. Tout a été conservé sous des monticules de terre, comme la Domus aurea de Néron. Surtout l'Eglise catholique a été assez maligne pour ne rien détruire des monuments païens. Elle aurait pu raser – comme le firent les Turcs en Grèce – ces lieux qui défiaient son autorité et son pouvoir. Elle les a au contraire détournés vers le culte catholique. Rendons hommage à l'Eglise : grâce à son pragmatisme, la Rome antique est en grande partie à redécouvrir ».

L’entretien du mois - Pour une écologie chrétienne

Objections - n°13 - janvier 2008 - page 7

L’entretien du mois - Pour une écologie chrétienne

À Noël, le Christ vient « pour redonner à la création, au cosmos, sa beauté et sa dignité » a déclaré Benoît XVI. Au cœur de la nuit et de l'année solaire, cette nuit de Noël renferme une théologie de « l'écologie humaine ». Que faut-il penser de la prédilection avec laquelle le pape évoque l’urgence écologique. Est-il, ce faisant dans sa fonction de pape. Nous avons posé cette question à Alexis Arette.


Alexis Arette, cela fait des années que le paysan béarnais que vous êtes parle d’écologie à qui veut l’entendre. Quels sont vos titres pour évoquer cette question ?

C’est par l’effet d’une vocation contrarié que je suis devenu écologiste. Dans la famille, on était tous militaire ou paysan. Personnellement, j’aurais préféré l’armée, mais, après une expérience militaire en Indochine, je suis redevenu paysan. Il fallait bien reprendre la terre ! J’habite aujourd’hui, à Momas, ce qui est sans doute la plus vieille maison béarnaise : 1194 est la date inscrite au fronton de la porte. Dans cette maison, j’ai fait longtemps de l’élevage biologique. C’est en tant qu’agrobiologiste que je peux parler d’écologie.

Vous vous revendiquez comme écologiste ?

Je crois que dans l’écologie, il y a deux écoles rivales. Il y a d’abord une école matérialiste dont le fondateur est Ernst von Haeckel, célèbre biologiste allemand, mort en 1919, qui pensait que « la politique c’est de la biologie appliquée ». Darwinien résolu, ses théories ont été récupérées pour justifier le racisme ou l’eugénisme. Et puis il y a une autre école à laquelle je m’honore d’appartenir. Si l’on se réfère à l’étymologie, oikos désigne l’habitat. Et logos, c’est la science bien sûr, mais pour nous chrétiens, c’est aussi le logos. Le Verbe, « par qui tout a été fait » et qui est présent dans la création. Il nous faut raisonner selon ce logos, en sachant que la création nous ramène toujours au Créateur. Je préférerais d’ailleurs parler d’écosophie : il s’agit d’examiner avec sagesse la nature de manière à l’empêcher de déchoir. Lorsque je parle de la nature, j’envisage bien sûr d’abord la nature qui nous entoure, mais j’y inclus notre propre nature. Qu’on le veuille ou non, il y a une dimension morale de l’écologie, qui consiste à aimer ce qui nous fait vivre et à détester ce qui nous fait mourir. Toute la Bible, la Loi et les Prophètes, c’est cela !

Pourquoi faut-il tant tenir à la nature ?

La création telle qu’elle se présente à nous est réglée par une loi homéostatique et on peut dire que la nature, c’est cela. Lorsqu’il y a un coup de chaleur par exemple, on constate que ce sont plutôt des fleurs claires qui poussent et qui repoussent la chaleur. Au contraire, dans le froid, on a plutôt une végétation sombre. C’est lorsque l’homme ne respecte pas cette autorégulation qu’apparaît le désert, que ce soit au Sahara ou au Negueb. C’est le professeur Louis Kervran, qui, à la fin des années 1950, a découvert cette propriété de la matière vivante, que sont les transmutations biologiques à faible dégagement d’énergie, à partir d’éléments naturels stables pour aboutir à d’autres éléments naturels. Il a observé par exemple que dans un sol où manque le calcium, on voit proliférer les ravenelles, qui en contiennent beaucoup et qui, en mourant le lui restituent. Il fait la même remarque à propos des prêles, qui apportent de la silice. Les plantes sont de véritables laboratoires, qui sont capables de transmuter certains éléments du sol en d’autres. Elles peuvent aussi apporter beaucoup à notre organisme. On peut dire qu’on touche du doigt le rêve des alchimistes, qui était de transformer le plomb en or : en ajoutant ou en retirant une particule à un atome, on change un corps. Les travaux du professeur Kervran n’ont pas encore été exploités selon leur véritable portée !

Vous croyez vraiment qu’il est question de cette régulation homéostatique dans la Bible ?

Non bien sûr, ce n’est pas à la Bible de nous parler de cela. Mais la Bible (comme d’ailleurs le livre iranien de l’Avesta) nous présente Adam, au commencement, sous les traits d’un jardinier. Son rôle est d’entretenir la création et Dieu le prévient que dans le jardin, il y a un fruit venimeux. Le Créateur le prévient qu’il ne faut pas le manger, mais lui ne veut pas l’écouter. Il croit que le Jardin, c’est sa chose à lui. Et du coup aujourd’hui, il ne nous reste plus que le souvenir de cet état bienheureux, alors que sur la terre en ce moment la ronce est plus fréquente que l’arbre à pain. Cette image d’Adam comme jardinier de l’univers est corroborée dans le Nouveau Testament. Lorsque le Christ apparaît après sa résurrection à la personne qui nous ressemble le plus, cette pécheresse de Marie-Madeleine, il lui apparaît sous les traits du jardinier. Il est le nouvel Adam, qui est là pour rédimer la création qu’Adam a perdue.

Vous voulez dire que nous devons nous aussi cultiver notre jardin ?

Je crois que c’est à partir de notre service de la nature que nous revenons au Créateur de la nature, pour lui rendre ce qu’il nous a donné. C’est le circuit de l’amour, qui est toujours la restitution du don. Rendre à Dieu ce qui nous a été donné par Dieu. Pour nos ancêtres, qui étaient des agriculteurs itinérants, le circuit de l’amour a pu commencer par la méditation d’une bouse de vache. On constate que la touffe d’herbe qui sort de la bouse de vache est plus vigoureuse que celle qui sort du sol. En rendant ce qu’on lui a donné, la vache contribue à l’amélioration du sol. Eh bien ! Nous aussi, il nous faut rendre tout ce que Dieu nous a donné et c’est lui qui va nous transmuter dans la résurrection. Regardez la résurrection du Christ : n’est-ce pas une transmutation atomique du corps physique du Christ en un corps de gloire ?


Alexis Arette en huit dates

Né en 1927. Part en Indochine en 1949 (blessé, légion d’honneur médaille militaire). 1953 : reprend la ferme de ses parents. 1957 : premier paysan de France, interviewé à ce titre par Jacques Chancel. 1967 : crée le festival de Siros, dédié à la chanson béarnaise. 1970 : vice-président de l’Académie de Béarn. 1984 : président de la Fédération Française de l’Agriculture. 1988 : conseiller régional d’Aquitaine.

Éditorial - Politique express

Objections - n°13 - janvier 2008 - page 8

Éditorial - Politique express

Est-ce l’influence des amours élyséennes – ou devrait-on dire eurodisneylandiennes, puisque les favorites, qu’on officialisait jadis en les présentant à Versailles, se voient désormais conférer l’onction chez Mickey – qui a conduit le gouvernement à remettre à l’étude un ancien projet de la socialiste Élisabeth Guigou sur le divorce express ? Toujours est-il que c’est dans le même temps que Nicolas Sarkozy faisait répandre urbi et orbi la nouvelle que tout compte fait il était disposé à se consoler avec Carla Bruni (quelques semaines après avoir manifesté qu’il resterait inconsolable du départ de Cécilia, et quelques mois à peine après nous avoir redit à quel point “C.” l’admirable était définitivement la femme de sa vie) qu’on apprenait une nouvelle simplification de la procédure de divorce par consentement mutuel : de judiciaire il deviendrait contractuel, puisque ce ne serait plus un juge (magistrat officiel, imposé par la carte judiciaire) qui le prononcerait, mais un notaire (membre d’une profession libérale, choisi librement par les deux futurs ex-conjoints) qui l’entérinerait. Alors que le juge avait mission de vérifier l’équité de l’accord et que celui-ci n’était pas en réalité “imposé” par le membre du couple psychologiquement dominant sur l’autre, le notaire ne ferait qu’acter une décision purement privée prise par les conjoints.

Sous couvert de simplification administrative, c’est donc à une nouvelle étape de la désacralisation du mariage qu’on assiste. Est-il pourtant si urgent d’offrir de nouvelles facilités aux couples souhaitant mettre fin à leur union alors même qu’en France, on prononce chaque année plus d’un divorce pour deux mariages ? Peut-on déplorer, à longueur de discours, l’absence de repères et continuer à détricoter, comme si de rien n’était, comme si l’expérience des quarante dernières années ne nous avait rien appris, le droit de la famille – insidieusement remplacé, dans ce domaine comme dans les autres par un “droit à” la famille de sa convenance ? Peut-on raisonnablement se plaindre du délitement du lien social, et arguer à chaque émeute qu’on en voit les effets dans les banlieues, et souhaiter la généralisation du travail le dimanche, privant ainsi de nombreux foyers du seul jour où ils ont vraiment l’occasion de se retrouver ? Peut-on aller proclamer au Latran les racines chrétiennes de la France, y déplorer le matérialisme ambiant et louer le rôle que les chrétiens ont à jouer pour le contrebalancer, et, quand il s’agit de politique concrète, toujours aller dans le sens d’une vision matérialiste de l’homme, d’une conception individualiste de la société ?

Simple machine à produire et à consommer, avide seulement de “travailler plus pour gagner plus”, fût-ce même le jour du Seigneur, ne demandant à la société rien d’autre que de ne pas le gêner dans l’exercice de ses projets et de ses plaisirs, ou de lui aplanir la voie de ses caprices – je t’aime, je te prends ; je me lasse, je te quitte –, inscrit seulement dans l’instant et ignorant tout de la durée, se définissant exclusivement par ses désirs et ignorant tout de ce qu’il peut apporter à autrui par ses sacrifices, l’homo sarkozykus est l’exact inverse de cet homme « qui croit (et) qui espère » exalté par le président de la République dans son discours du Latran.

Dans les propos privés qui ont entouré cette visite à Rome, Nicolas Sarkozy ne s’est pas privé de faire savoir qu’il était extrêmement ouvert aux différentes demandes que pourraient lui faire les évêques de France, et qu’il trouvait ceux-ci étonnamment timorés dans l’usage qu’ils avaient jusqu’ici fait de cette porte ouverte. S’il ne devait rester qu’une chose de cette visite au Latran, il ne serait pas mauvais que ce fût celle-ci : que nos évêques le prennent au mot. Et, texte de son discours à l’appui, le rappellent à ce devoir de cohérence auquel Benoît XVI appelait les responsables politiques – c’était, précisément, juste avant l’élection présidentielle.

Laurent Lineuil