samedi 15 décembre 2007

Les évêques français dans l’impasse - Abbé Guillaume de Tanoüarn

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 1

Les évêques français dans l’impasse - Abbé Guillaume de Tanoüarn

Le roboratif discours de clôture administré aux évêques français lors de leur assemblée générale à Lourdes au début du mois de novembre par le cardinal Vingt-Trois ne doit pas faire oublier à ces mêmes évêques les difficultés qu'ils rencontrent dans leurs diocèses respectifs, lorsqu'il s'agit d'appliquer le Motu proprio du pape Benoît XVI libérant la liturgie traditionnelle. De cela d'ailleurs, le nouveau patron n'a pas soufflé un mot, laissant chacun affronter la difficulté telle qu'elle se présente à lui. L'attitude générale, comme nous l'avons dit dans le précédent numéro, a été largement édictée dans les réunions régionales de la mi-septembre : la messe traditionnelle peut-être, de temps en temps, mais surtout pas de prêtres venant de l'extérieur : nous avons les mêmes à la maison !

Retour de Lourdes, Mgr Bouilleret, évêque d'Amiens, n'a pas de chance. Il trouve les traditionalistes de la FSSPX dans la rue, ou plutôt devant sa cathédrale, assistant à la messe du dimanche dans le froid de ce mois de novembre, sans qu'apparemment il y ait de place prévue pour eux dans l'hôtellerie diocésaine ! Comment faire ? se demande-t-il. « Avant tout je voudrais distinguer les intégristes et les traditionalistes » déclare l'évêque d'Amiens, bien embarrassé. Aux uns, il est prêt à accorder l'asile politique dans l'Église conciliaire, c'est-à-dire un prêtre « du diocèse » (comme s'il en avait trop !) qui leur dira la messe au compte-gouttes en leur enseignant les bienfaits de Vatican II, le concile qui a fait l'Église telle que nous la voyons aujourd'hui. Aux autres, les sans-papiers, les intégristes, il refuse même de les rencontrer. On ne sait jamais ! Une rencontre peut avoir toutes sortes de conséquences, non prévues dans la feuille de route. Il faut comprendre l'évêque aussi : gouverner c'est prévoir ! Il ne sera sans doute pas si facile de répondre à ces sans-logis de l'Église qui osent venir lui parler droit au logement : « nous avons les mêmes à la maison ! » Même parmi les fidèles du rang, cette soixantaine de héros qui se trouvaient, assistant à la messe du dimanche matin à l'intérieur de la cathédrale, ce discours passe mal. Dimanche 18 novembre, dans la cathédrale, le curé avait résolu de parler “messe face au peuple et présence au monde” ; et ce sont ses propres paroissiens qui l'ont interrompu en lui demandant d'aller faire de la présence au monde avec les catholiques restés dehors.

On sent bien que le discours épiscopal sur les traditionalistes, si résolu qu'il ait pu paraître dans les premiers jours du Motu proprio, n'est pas aussi assuré qu'il veut s'en donner l'air. La meilleure preuve ? Jusqu'au Motu proprio, l'argument fondamental des évêques était la différence entre chrétiens du concile et chrétiens de la messe en latin, une différence inassimilable à les entendre. Aujourd'hui leur argument (nous avons les mêmes à la maison) est exactement à l'inverse : « puisqu'on vous propose la même chose, disent-ils aux traditionalistes, revenez vers nous ! » Cette évolution rhétorique a été trop peu signalée. Elle est le premier signe d'une évolution pastorale considérable.

Je me souviens, durant mon service militaire, un prêtre d'Orléans, ordonné par Mgr Riobé, emblème controversé du progressisme français, qui me disait, alors que je n'étais qu'un petit séminariste en soutane : « Je suis dans la ligne de Riobé, mais la tradition j'en fais, on m'en demande ». Il m'avait assuré auparavant qu'il ne connaissait pas le latin : « Ça ne te gêne pas ? ». C'était lui qui se trouvait horriblement gêné, le pauvre ! Comme sont gênés aujourd'hui tous ceux auxquels on demande de faire ce qu'ils n'ont pas appris à faire, ces prêtres diocésains que l'on va recruter pour célébrer la messe traditionnelle.

Le 22 septembre, lors des ordinations de Saint-Éloi à Bordeaux pour le compte de l'Institut du Bon Pasteur, le cardinal Castrillon Hoyos, au cours d'un prêche très surnaturel sur l'apostolat sacerdotal, avait eu ce mot pour caractériser les sociétés de prêtres traditionalistes : ce sont « des instituts spécialisés ».

Les évêques devront cesser d'interpréter grossièrement le Motu proprio pontifical, en lui faisant dire ce qu'il ne dit pas. Et à ce moment-là tout naturellement, les prêtres traditionalistes, sortant des dits Instituts spécialisés, se mettront au service des diocèses, pour une pastorale qui n'aura pas peur d'être plurielle. Quitte à enseigner à leurs confrères ce dont ils ont été sevrés. Est-ce un rêve ? Plutôt, je crois, le mouvement inéluctable des événements. Oui : quelque chose comme la marche du siècle.

Abbé Guillaume de Tanoüarn

Avez-vous (bien) compris le Motu proprio ? - Guillaume de Tanoüarn

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 2

Avez-vous (bien) compris le Motu proprio ?

La construction du Motu proprio voulu par Benoît XVI pour libérer la célébration du rite traditionnel semble étrange lorsqu'on réfléchit au fonctionnement habituel de l'Église catholique. Il ne faut pas gommer cette impression d'étrangeté, ce serait trop facile, mais plutôt tenter de l'expliquer.

Alors que beaucoup d'évêques dans le monde pratiquent à l'égard du Motu proprio une « désobéissance silencieuse », comme dit le cardinal Castrillon Hoyos, on est bien obligé de constater que la mise en œuvre de ce gigantesque chantier de réhabilitation se poursuit par les deux biais que le pape avait prévus : les laïcs d'une part ; le Vatican d’autre part.

Au Vatican tout d'abord, on assiste à un changement de discours tout à fait considérable. Aux premiers jours de sa publication, on insistait plutôt sur la dimension de réconciliation avec la Fraternité Saint Pie X, nommée explicitement dans la Lettre d'accompagnement signée par Benoît XVI. Mais le texte du Motu proprio lui-même rend un son bien différent. La longue introduction qui précède les douze articles législatifs montre que l'œuvre de Benoît XVI en matière liturgique doit être placée dans ce temps long, qui est le temps de l'Église universelle elle-même. Au cours d'un entretien donné à l'Osservatore romano, journal officiel du Vatican, le 20 novembre dernier, Mgr Ranjith, secrétaire de la Congrégation pour le culte divin, souligne l'importance de ce temps long pour une interprétation correcte du Motu proprio. Il cite l'encyclique de Pie XII, Mediator Dei (1947), et il montre que la constitution conciliaire Sacrosanctum concilium s'est inspirée de la perspective de Pie XII, pour rappeler à tous les fidèles : « La liturgie est considérée comme l'exercice de la fonction sacerdotale de Jésus-Christ » (n. 7). Comment ne pas voir en effet que le Motu proprio n'a pas été rédigé uniquement à destination de la FSSPX ? On peut même dire que les congrégations Ecclesia Dei, dont la FSSPX pourrait faire partie si elle le souhaitait, sont les grandes oubliées de ce texte sur la liturgie. Il n'est pas question de leur rôle. Cela montre bien que dans son principe, le Motu proprio ne s'adresse pas seulement à une partie des fidèles (ceux qui auront fait confiance, pour la transmission de la foi dans leurs familles, à des Communautés Ecclesia Dei) mais à tous. Comme l'explique Benoît XVI aux évêques, dans sa lettre d'accompagnement, la liturgie dite de saint Pie V (la forme extraordinaire du rite latin) possède des qualités que la forme ordinaire ne manifeste pas suffisamment. Et de donner en exemple le sens du sacré.

Le “coup de semonce” de Mgr Ranjith

On peut donc, sans paradoxe, supposer que le Motu proprio n'est pas destiné seulement à autoriser la forme extraordinaire du rite, mais que chacun, quelle que soit la forme du rite qu'il célèbre, doit en prendre de la graine. L'encyclique de Jean Paul II Ecclesia de eucharistia (2003) et l'exhortation apostolique Redemptionis sacramentum allaient également dans ce sens. « La sainte Messe est un sacrifice, un don, un mystère, indépendamment du prêtre qui la célèbre. Le protagoniste de la messe, c'est le Christ » explique Mgr Ranjith.

On comprend mieux peut-être pourquoi le même Mgr Ranjith avait déjà envoyé un premier coup de semonce le 5 novembre, en exhortant pasteurs et fidèles à obéir au Motu proprio : « Vous savez qu'il y a eu de la part de quelques diocèses des documents d'interprétation qui visent inexplicablement à limiter le Motu proprio du Pape ». Et ailleurs : « Franchement je ne comprends pas ces formes d'éloignement et – pourquoi pas – de rébellion contre le pape ».

Cette déclaration, intervenant dans le contexte de la visite privée du cardinal Castrillon au pape, semble nous porter comme un écho de cette entrevue. Ce n'est un secret pour personne que Mgr Ranjith est un bouillant (la dernière fois que je l'ai rencontré, il nous a expliqué que ceux parmi les catholiques, qui ignoraient la crise de l'Église, lui faisaient penser à Néron jouant de la harpe durant l'incendie de Rome). Mais il veut être le factotum du pape et en l'occurrence sa liberté de ton et son entretien dans l'Osservatore romano semblent bien indiquer que Benoît XVI est décidé à passer à la vitesse supérieure dans l'application du Motu proprio, en intéressant tous les catholiques, de quelque bord qu'ils soient, à sa mise en œuvre.

Le pape en appelle aux laïcs

On sait que plutôt que de s'appuyer sur les évêques, il a voulu en appeler aux laïcs et aux curés.

Et il se trouve qu'en France tout au moins, après une brève période de latence, les groupes stables, réclamant la messe traditionnelle à leurs curés, se multiplient. À Paris je sais que des fidèles sont impliqués dans le Ve, le XIVe et le XVIe arrondissement. En tant que responsable du Centre Saint-Paul, je suis très fier de cet engagement. On peut citer aussi Saint-Maur-des-Fossés (94), où le groupe stable compte quelque 200 personnes. Et puis, à côté de Courtalain, c'est l'association Protridentin, qui dialogue avec Mgr Pansard évêque de Chartres. Je n'oublie pas le combat de Paix liturgique, qui, après avoir arraché une messe à Mgr Daucourt (en ce moment à Saint-Cloud, avec un auditoire entièrement renouvelé) entreprend une vaste opération de prise de conscience à Paris et en province.

Disons-le tout net : si parmi vous, dans n'importe quel diocèse, tel ou tel voulait fonder un de ces groupes stables, à la constitution desquels le Motu proprio nous invite, qu'il sache que ce n'est pas difficile. La loi de 1901 permet de constituer des associations par simple dépôt en préfecture d'un Bureau (trois personnes) et de statuts (on en trouve des quantités prérédigés sur Internet). Pourquoi ne pas utiliser ce moyen pour rendre plus visibles nos groupes stables ? Voilà de la saine laïcité !

Le Motu proprio suppose un engagement clair de l'autorité suprême : c'est ce que la Congrégation pour le Culte divin nous donne à voir, en ce mois de novembre. Mais le pape compte avant tout sur les laïcs, conformément aux dispositions prises par le concile Vatican II. Alors : au travail !

Abbé G. de Tanoüarn

L’événement - Les orthodoxes ont signé

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 3

L’événement - Les orthodoxes ont signé

Les accords de Ravenne inaugurent une nouvelle phase du rapprochement entre catholiques et orthodoxes. Ce qui est fait et... ce qui reste à faire.


A la fin du pontificat de Jean-Paul II l'oecuménisme apparaissait comme en perte de vitesse. Après les retrouvailles de 1995 avec le Patriarche Bartoloméos et la grande espérance d'un rapprochement entre Rome et Constantinople, les projets ont paru tourner court. La Commission mixte qui se réunissait pour discuter de la question de l'autorité dans l'Église a dû interrompre ses travaux durant sept longues années. Il faut reconnaître que le battage au sujet de grands événements interreligieux sur le modèle de la réunion d'Assise en 1986, ont largement contribué à détourner l'attention. Au lieu de réfléchir à une unité de tous les chrétiens dans la Tradition catholique (c'est-à-dire universelle) – ce qui est la définition de l'oecuménisme – on a tenté de promouvoir de grands coups médiatiques, fondés sur des idées fort obscures, comme celle selon laquelle nous avons tous le même Dieu. Dans cette dernière perspective, la raison humaine substituait en fait ses propres schémas – et ses concepts – à la Parole transmise et à la fidélité inconditionnelle qu'elle nous commande.

L'avènement de Benoît XVI a largement contribué à clarifier cette situation. Désormais, comme le soulignait récemment le cardinal Kasper, « l'oecuménisme n'est plus une discussion, c'est un mandat ». Et, comme aux conciles de Lyon (1274) et de Florence (1338), le premier souci est celui de l'unité à réaliser en surmontant le schisme de 1055 : pour qu'enfin l'Église respire avec ses deux poumons!

Dans ce contexte le document signé à Ravenne concernant l'autorité dans l'Église, publié le 23 novembre dernier, est d'une extrême importance. Hélas, les orthodoxes eux-mêmes se sont divisés, puisque seuls étaient présents les représentants de Constantinople, ceux de Moscou ayant claqué la porte! Il faut tout de suite ajouter que Moscou n'a aucune hostilité sur le fond contre cet accord, ainsi que nous le précisait le mois dernier dans ces colonnes le Père Alexandre Siniakov. La querelle était interne aux orthodoxes, elle manifeste combien est fragile la cause de l'unité des chrétiens.

Le cardinal Kasper, dont on doit craindre les dérapages sans nier la compétence, a lui-même déclaré au Consistoire du 23 novembre: « Pour la première fois, les Églises orthodoxes nous ont dit Oui, il y a conciliarité, synodalité et autorité. Elles reconnaissent cela au niveau universel de l'Église. Cela veut dire qu'il y a même un primat, selon la Tradition de l'Église ancienne ». Mais il re connaît aussitôt : « Sur la nature des privilèges de l'Église de Rome, nous avons indiqué seulement les grandes lignes ».

Autrement dit, un accord se dégage pour reconnaître le Primat romain. Les discussions entre orthodoxes et catholiques portent sur la manière dont doit s'exercer l'autorité suprême dans l'Église.

En ce point, il faudrait sans doute que Rome revienne non pas seulement à la doctrine de l'Église sacrement; comme il est annoncé de façon fort conciliaire dans le titre du document, mais à sa théologie bimillénaire de l'autorité. Au lieu de vouloir faire reconnaître un pouvoir administratif au niveau universel (pouvoir qui est celui du Patriarche dans son Patriarcat), ne faudrait-il pas insister sur le fait que le pouvoir de gouverner est strictement subordonné au pouvoir d'enseigner. Pour paraphraser saint Augustin, c'est dans la mesure où Rome parle que la cause est entendue. Le gouvernement romain, en tant qu'il est universel, tire sa légitimité du Magistère pontifical, et de rien d'autre. Aujourd'hui ce sont ces catégories antéconciliaires (supériorité du Magistère sur la juridiction) qui feront avancer la cause de l'union des chrétiens dans l'unité catholique.

Pour être plus simple, si Rome se centre sur son charisme d'infaillibilité, tel qu'il a été défini à Vatican I, revendiquant de l'exercer de façon ponctuelle en fonction des besoins de l'Église universelle, elle présiderait efficacement à la charité, sans fa i re peser en dehors du Patriarcat d'Occident, un pouvoir humain, trop humain, dont les Orientaux ont sans doute raison de se méfier.

Abbé G. de Tanoüarn

Peut mieux faire ! - Les Scouts d’Europe en perdent leur latin…

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 3

Peut mieux faire ! - Les Scouts d’Europe en perdent leur latin…

Un prêtre de Notre-Dame-des-Armées (FSSP) avec eux, les routiers du clan St. Louis de Versailles marchent vers Vézelay. Avec eux des anciens de la troupe du Chesnay aux foulards marqués d’un ESF, encore des « tradis » ! Pour eux et d’autres troupes, le motu proprio était la possibilité de célébrer selon le rite de saint Pie V librement, sans faire l’objet de dérogations particulières.

La lettre de M. Mougenot pour les hautes instances internationales, donnait bon espoir. « Est légitime tout rite dûment approuvé par le Siège apostolique.» L’association n’a pas à prendre position sur des textes du magistère, mais « à les recevoir filialement. » Le 9 octobre, la fédération française prenait un autre chemin. Afin d’assurer la « paix » et « l’unité » au sein du mouvement, les querelles liturgiques en sont exclues. Tant mieux ! Mais la mise en pratique ouvrait une perspective plus sombre : « La forme ordinaire du missel sera choisie pour toutes les activités scoutes et guides […]. » Ce désir d’unité pouvait se comprendre, mais qu’en serait-il des unités célébrant ou désirant célébrer suivant le rite de saint Pie V ? « La situation des groupes actuellement autorisés à célébrer selon l’ancien missel sera bien sûr examinée avec l’évêque du lieu.»

Première mise en application de ces décisions, l’abbé Loiseau célébrant en saint Pie V n’a pu constituer un groupe FSE sur le territoire de sa paroisse.

Réaction : démission de chefs, menaces de départs de troupes. Pour certains commissaires la question était claire. Une célébration scoute en plein air hors de tout « cadre paroissial est canoniquement assimilée à une célébration privée. » Toute célébration en rite de saint Pie V est donc possible.

Le 15 octobre les commissaires généraux tentaient de nuancer leur discours : maintiens de leurs positions anciennes, mais pas de retour sur les dérogations antérieures concernant la possibilité pour certaines unités de célébrer en rite de saint Pie V. Position confirmée par un communiqué de presse du 17 novembre, le statu quo est de rigueur. Motu propio ou pas.

Jansen

C’est à lire - Agatha Christie avec Jean Madiran

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 4

C’est à lire - Agatha Christie avec Jean Madiran

Jean Madiran, le fondateur du quotidien Présent, revient sur ce qui sera sans doute le combat le plus marquant de sa vie, le combat pour la défense du rite traditionnel de la messe. Il nous propose aujourd'hui le premier « fascicule » d’une Histoire de la messe interdite, qui en comportera plusieurs. Fourmillant d'anecdotes significatives l’auteur manifeste une hauteur de vue qui ne se dément pas tout au long de sa longue bataille pour le retour de la messe en latin dans les églises. Simple problème cultuel ? Affaire interne à l'Église ? Non, l'abandon de la messe marque l'ouverture d'une véritable crise de civilisation. Dès le mois de janvier 1970, dans la revue Itinéraires, Jean Madiran écrivait ceci : « Qu'on n'imagine pas que l'on pourra aisément faire l'aller et retour d'une messe à l'autre. Ce qui est interrompu sera perdu pour longtemps. (...) Ceux qui ont la possibilité de maintenir, fût-ce à l'écart, en petits groupes, en catacombes ou en ermitages, la liturgie romaine et le chant grégorien, en tiennent le sort historique entre leurs mains ». Le ton est donné ! Le 6 juillet 1971, un groupe d'intellectuels de toutes religions publiait dans le Times de Londres un appel au Saint Père, qui fait entendre la même musique : « Les signataires désirent attirer l'attention du Saint Père sur l'effrayante responsabilité qu'il encourrait dans l'histoire de l'esprit humain, s'il refusait de permettre la survie de la messe traditionnelle, même si c'était côte à côte avec d'autres formes liturgiques ». Parmi les signataires Agatha Christie, l'instigatrice de cet appel, puis Roger Caillois, Yehudi Menuhin, Graham Greene, Henri de Montherlant, Julien Green etc.

Paul VI ne répondit ni à l'un ni aux autres. Silence. L'interdiction du rite immémorial dit de saint Pie V s'effectue, comme tous les grands abus de droit du XXe siècle, comme les génocides, par simple voie administrative. Et tout le monde sait que l'administration, qu'elle soit ecclésiastique ou laïque, n'est guère loquace, lorsqu'on tente de lui demander ses raisons. Jean Madiran montre comment, au gré des circulaires auto-justificatives, progresse l'interdiction de la messe latine, sans que cela soit même un sujet de discussion possible. On ne sait pas qui a pris la décision. Il y a deux circulaires anonymes de la Congrégation pour le culte divin, l'une le 11 juin 1970, l'autre le 14 juin 1971. Sans plus de précisions, la Documentation catholique, qui publie en français la seconde, intitulée Notification, annonce triomphalement en… note : « En France, la célébration de la nouvelle liturgie est obligatoire depuis le 1er janvier 1970 ». Le pape Paul VI ne se prononcera explicitement sur ce sujet que le 24 mai 1976, en annonçant la chose faite et la messe latine enterrée… L'enquête autour de ce que l'on veut voir comme un cadavre est menée de main de maître et dans le moindre détail par Jean Madiran, qui, comme détective de l'horreur ecclésiastique, peut bien être comparé… à Hercule Poirot !

Joël Prieur


Jean Madiran, Histoire de la messe interdite, éd. Via romana 2007, 122 pp. 17 €

Facta sunt

Objections - n°12 - décembre 2007 - pages 4 et 5

Facta sunt

  • La Commission Ecclesia Dei est loin d'avoir dit son dernier mot. Elle prépare un document (à publier avant Noël) sur l'interprétation du Motu proprio, pour éloigner les erreurs plus ou moins volontaires qui ont fleuri autour de ce texte, libéralisant la messe traditionnelle. Le cardinal Castrillon, récemment reçu en audience privée par le pape à ce propos, n'hésite pas à stigmatiser « la désobéissance silencieuse » au Motu proprio. Il est également question d'envoyer de Rome une circulaire à tous les séminaires du monde pour offrir aux séminaristes les moyens d'apprendre à célébrer selon la forme extraordinaire du rite latin.

  • Pas d'absentéisme face à l'islam. Sur ce chapitre, nos évêques haussent le ton. « La liberté religieuse est-elle respectée, lorsqu'un jeune musulman qui se convertit au christianisme, est ensuite menacé de mort par ses coreligionnaires ? » C'est Mgr Éric Aumônier, évêque de Versailles, qui a adressé cette simple question à l'assemblée de ses pairs, réunie à Lourdes. Le “parler vrai” dont se targue Mgr Vingt-Trois est en train de faire des émules. On attend avec impatience la réponse mise en forme à cette solennelle question d'évêque. Dans le sermon de l'évêque de Paris aux étudiants à Notre-Dame, on trouve cette constatation tout aussi stimulante : « Il n'est pas possible que l'on se contente de se lamenter sur le fait que telle ou telle minorité impose sa manière de faire, si habituellement on est soi-même absent des lieux, des organismes, des mouvements qui peuvent influer sur la vie collective ».

  • Autre petite phrase, de Mgr Vingt-Trois, qui semble avoir un compte à régler avec la tentation communautariste : « Être chrétien dans ce monde n'est pas simplement nous mettre en prière à heures fixes, fût-ce plusieurs fois par jour. C'est vraiment nous mêler des affaires de ce monde, parce que les affaires de ce monde transforment la vie des hommes, les rendent plus heureux ou plus malheureux, font grandir leur liberté et leur capacité de vivre ou au contraire les restreignent ». Dans son discours de clôture, tout en insistant dans la même veine, sur « la volonté de partage avec nos contemporains », il insiste sur l'évangélisation, en précisant qu'il lui importe peu qu'elle soit « ancienne ou nouvelle » : « C'est une tâche permanente, dont on ne peut jamais présumer qu'elle soit achevée », note-t-il. Eh bien : au travail !

  • Benoît XVI est très demandé. En plus des JMJ de Sydney, qui auront lieu à la fin du mois de juillet prochain, le souverain pontife est attendu aux États-Unis en avril. À cette occasion, il s'exprimera aussi à New York devant l'Organisation des Nations Unies. Enfin la nouvelle présidente argentine souhaite que Benoît XVI puisse venir en visite dans son pays au cours de l'année 2008. Le rayonnement international de ce pape discret ne le cède en rien à celui de Jean-Paul II, même si son charisme est différent.

  • Le Père Xavier Léon-Dufour est mort à l'âge de 96 ans. Né à Paris en 1912, entré à la Compagnie de Jésus à 17 ans, il est ordonné prêtre en 1943. Ses thèses sur la résurrection du Christ sont pour le moins sulfureuses, mais jusqu'à son dernier souffle, il est resté un fils de saint Ignace, biographe précis de saint François-Xavier, avant tout préoccupé de l'avenir de l'Église… Son commentaire monumental de l'Évangile de saint Jean (4 volumes aux Éditions du Seuil, où il fait la part de ce qui est scientifique dans son analyse et de ce qu'il nomme lui-même les “ouvertures”) reste le chef-d'œuvre incontestable de sa vieillesse. Le titre de son dernier livre définit parfaitement sa physionomie sacerdotale : Agir selon l'Évangile.

  • Pierre Pujo est mort dans la nuit du vendredi 9 au samedi 10 novembre, après une vie au service de l'Action française. Critiqué par certains pour son omniprésence à la tête du mouvement maurrassien, il laisse un héritage difficile à recueillir. La très nombreuse jeunesse qui était présente, au milieu d'une assistance très dense, lors de ses obsèques à la Madeleine à Paris, manifestait pourtant combien la pensée maurrassienne et l'espérance royale demeurent vives aujourd'hui. Qui a dit que la jeunesse était en panne d'engagement ?

C’est à voir - Paris romantique

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 5

C’est à voir - Paris romantique

Deux expositions emblématiques du romantisme, au programme à Paris (l'une il est vrai plus importante que l'autre), toutes deux illustrant des peintres français.

Ils ont une douzaine d’années d'écart : l'un naît en 1797, il pourrait bien être le fils caché de Talleyrand ; l'autre en 1810, d'une famille de notables comtois. L'un est un libéral tolérant, sensible au lyrisme de la Révolution française (La Liberté guidant le peuple est dans tous les manuels d'histoire). L'autre un socialiste. Ami de Proudhon, dont il fera le portrait, on l’ accusa d'avoir déboulonné la Colonne Vendôme, durant la Commune en 1871 (ce qui le conduira quelques mois à Sainte-Pélagie). Il s'agit d'Eugène Delacroix et de Gustave Courbet.

L'un et l'autre marqués par le romantisme, leurs œuvres sont aux antipodes, preuve, s'il en était besoin, qu'il ne faut jamais se fier aux classifications scolaires, lorsqu'on a affaire à des génies.

L'exposition Delacroix et ses amis, nous introduit dans l'ancien atelier de l'artiste, transformé en musée. Il n'est pas question d'y voir les grands tableaux qui ont fait le prestige de Delacroix, ni Sardanapale ni Fantasia. Mais, à travers estampes et esquisses ou portraits, on saisit l'ambiance dans laquelle l'œuvre est née. Des copies en réduction du Radeau de la Méduse de Géricault (jeune ami de Delacroix, mort précocement d'une chute de cheval) et de la Barque de Dante (œuvre de Delacroix, inspirée du Radeau) attire l'attention du promeneur. Pour le reste, on peut évidemment se rendre au Louvre tout proche, ou pousser jusqu'à l'église Saint-Sulpice où une chapelle est décorée par Delacroix, avec en particulier Le combat de Jacob avec l'ange, emblématique non seulement de l'esthétique mais de la spiritualité romantique.

L'exposition Courbet au Grand Palais a une autre dimension. Il s'agit d'une rétrospective englobant tous les aspects de l'art du peintre. Audace, naïveté, culte du moi, on retrouve dans le soi-disant “réalisme” de Courbet tous les ingrédients du romantisme. Ses toiles sont souvent de véritables manifestes, à commencer par la quinzaine d'autoportraits qui ouvrent l'exposition. Et les trois truites qui les ferment, dont on nous dit, le plus sérieusement du monde, qu'elles sont elles aussi… des autoportraits. Le Portrait de l'artiste en fou qui sert d'affiche à l'exposition (et un autre, dans lequel il se dit « fou de peur »), sont d'une grande originalité. Dans Un enterrement à Ornans, l'artiste nous montre le petit peuple, en utilisant un format réservé aux grandx tableaux historiques : le prêtre en chape et goupillon, c'est donc encore… de la politique ! Courbet doit exposer cette toile à ses frais : elle est refusée au Salon de 1 854. Au deuxième étage, les paysages, les scènes de chasse et les natures mortes sont souvent, il faut bien le dire, de qualité moindre. Quant aux nus, ils sont d'une très expressive impudeur.

Courbet est grand quand il a voulu être grand, lorsqu'il provoque ou lorsqu'il se raconte. En cela, il représente ce romantisme du désir que Delacroix évoque dans son Journal, « un désir infini de ce que l'on n'obtient jamais, un vide que l'on ne peut combler, une extrême démangeaison de produire de toutes les manières ».

Joël Prieur


Delacroix et ses amis de jeunesse, 6 rue de Furstemberg, 75006, du 23 novembre au 25 février 2008.

Gustave Courbet, Grand Palais, Du 13 octobre 2007 au 28 janvier 2008.

L’humeur - Questions autour d’un feu de banlieue

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 6

L’humeur - Questions autour d’un feu de banlieue

En deux jours, un commissaire de police frappé à coups de barre de fer et hospitalisé, plus de quatre-vingts policiers et pompiers blessés, dont cinq grièvement, l’un d’entre eux touché à l’épaule par une balle de gros calibre, un poste de police incendié et un autre saccagé, un garage, deux écoles, une bibliothèque, un supermarché et des dizaines de voitures brûlés, de nombreux magasins pillés… Scènes de guerre civile en Palestine, au Liban ou au Congo ? Non, mais plus simplement à Villiers-le-Bel et dans cinq autres communes du Val d’Oise.

Les vraies questions ne portent pas sur le « sentiment d’être des citoyens de seconde zone » qu’éprouveraient encore les populations issues de l’immigration – à l’heure où Rachida Dati est ministre de la Justice, Fadela Amara secrétaire d’État à la politique de la Ville et Yama Rade secrétaire d’État aux Droits de l’Homme ; ni sur les millions d’euros que l’on ne manquera pas de déverser, une fois de plus, sur les cités, pour parvenir à y acheter un éphémère retour au calme.

Ces questions sous-jacentes sont d’un autre ordre. Est-il encore possible de dissoudre les ghettos et les enclaves qui se sont créés sur le territoire national, à la faveur d’une politique d’immigration incontrôlée ?

Le gouvernement aura-t-il le courage et la fermeté de prendre dans les plus brefs délais les mesures les plus propres à ramener l’ordre, en montrant aux voyous des cités que la récré est finie et que l’heure est venue de payer les dégâts et de porter la responsabilité de leurs actes ? Il est permis d’en douter, quand on compare le nombre des policiers et pompiers blessés à celui des casseurs interpellés : moins d’une quinzaine au cours des deux premières nuits d’émeutes.

En finira-t-on avec la culpabilisation du peuple français et le mea culpa intellectuel et médiatique permanent, qui incite les jeunes des cités en général, et les voyous en particulier, à se cultiver une mentalité de victimes, envers lesquelles les Français auraient une dette ?

Les vagues d’immigration précédentes ne se sont pas intégrées – elles se sont assimilées. Cette assimilation était plus aisément réalisable, parce qu’il s’agissait de populations européennes, catholiques de culture – et souvent de foi, mais aussi parce que ces immigrés-là considéraient l’acquisition de la nationalité française comme un but à atteindre, une récompense et un honneur. Nos « mea-culpistes » en ont tant fait que les jeunes des banlieues n’ont aucune envie de se fondre dans la nation française et que le qualificatif de « français » a pris, dans les cités, une connotation très nettement injurieuse. Comment en irait-il autrement, puisqu’on les persuade que cette nation est criminelle, raciste et lâche, et que l’identité nationale se rapporte à la possession d’une carte qu’ils obtiendront automatiquement à 18 ans, s’ils ne la refusent pas avec mépris ?

La dernière question qui se pose, non seulement à nos gouvernants, mais à l’ensemble des Français, engage l’avenir même de la nation française. D’ici 2040, les naissances d’enfants issus de l’immigration extra-européenne seront supérieures aux naissances d’enfants de « souche » française. Les Français ne font plus d’enfants – et les autres peuples européens n’en font pas plus. Des peuples jeunes et pauvres, de l’autre côté des mers, regardent avec envie cette Europe riche, égoïste et vieillissante, engoncée dans le déficit démographique et dans le matérialisme. Notre destin est inscrit dans cette comparaison, beaucoup plus sûrement lisible que dans une boule de cristal. Est-il encore temps de modifier le cours de l’histoire ?

Pierre Voisin

C’est eux qui le disent…

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 6

C’est eux qui le disent…

  • « Vous trouvez encore le temps d'aller à la messe ? » demande Florence Belkacem à Christine Boutin dans VSD du 21 novembre. « – Oui et heureusement. Donner une heure de sa vie dans une semaine, ce n'est vraiment pas beaucoup. Et si cela permet de recouvrer l'équilibre, c'est un bel investissement » répond la ministre de la Ville. Équilibre et réalisation personnelle ou justice envers Dieu et don de soi sans arrière-pensées ? Christine Boutin a jugé plus simple d'expliquer aux lecteurs de VSD son comportement religieux comme une modalité particulière de la consommation et de la recherche du bien-être. La messe mieux que les psychotropes ? Oui pour la galerie, mais certainement pas pour se déterminer soi-même.

  • Ados en danger titre Match du 22 novembre. On apprend que parmi les ados il y a une baisse de 36 % des morts par suicides entre 1993 et 2004, mais le nombre des TS (en particulier par somnifères surtout chez les filles) n'a jamais été aussi élevé. « Un rapport alarmant remis au président de la République indique que 15 % des 11-18 ans sont en grande souffrance. Le malaise des adolescents commence plus tôt qu'autrefois et se termine plus tard, avec à la clé 40 000 Tentatives de Suicides (TS) par an ». Marie Choquet, qui présente cette enquête, conclut : « Pour devenir adulte un enfant a besoin d'être responsabilisé petit à petit, tout en étant protégé par ses parents. Donner une trop large autonomie à un jeune qui est fragile n'est pas une bonne solution ».

  • Dans Le Point du 11 octobre, Jean Clair, ancien directeur du Musée Picasso, s'exprime sur l'art, la culture et la religion : « Nous vivons sur l'idée de Malraux : l'art, c'est ce qui reste quand la religion a disparu. Or, pour d'autres civilisations, l'art n'est rien quand il n'y a pas une religion pour lui donner un sens. Le docteur Faustus de Thomas Mann dit qu'une culture qui se détache du culte n'est plus qu'un déchet. Appeler cette religion post-religieuse comme vous voulez : idéal politique, utopie sociale, laïcité, progrès des Lumières, droit de l'homme, libre-pensée, nationalisme, humanisme, transhumanisme, messianisme marxiste… Le fait est que l'art qui a tenté de se développer sur ces “déchets” n'a pas donné d'aussi beaux fruits que l'art des autres siècles. Hegel avait parfaitement vu cela, quand il parlait de l'art comme d'“une chose du passé” ». L'art contemporain qui fait profession de l'être est trop souvent ce “déchet”, inassimilable par le public (pour un développement : Jean Clair : Malaise dans les musées, Flammarion 12 euros).

L’entretien du mois - René Girard

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 7

L’entretien du mois - René Girard

Anthropologue, René Girard est l'un des derniers penseurs qui compte. Sa théorie du désir mimétique répond à Freud et à Levi-Strauss. Mais ce travail fondamental ne l'empêche pas d'être en prise sur notre histoire et même sur l'actualité qu'il tente de décrypter. Après Achever Clausewitz, il prépare un livre sur les États-Unis et la France. Voici sur ce sujet comme en avant-goût, notre discussion. À bâtons rompus...

René Girard, vous êtes sans cesse entre deux mondes, les États unis et la France. Que diriez-vous de la situation aux États-Unis actuellement ?

Il y a là-bas un changement qui étonnerait Tocqueville…

Parlons de ce changement, mais d'abord parlons de l'Église catholique aux États-Unis…

Lorsque j’y suis arrivé, il y a 50 ans, il y avait parmi les catholiques 70 % de pratiquants. Aujourd'hui il y a 70 millions de catholiques, vous vous rendez compte ! Cela ferait un chiffre énorme ! Mais actuellement, il reste 30 % de pratiquants. La différence, pour une large part, c'est le Concile, non : plutôt le clergé conciliaire qui en est responsable. Mais c'est encore considérable par rapport aux chiffres européens. Enfin, nous, nous avons une messe grégorienne et nous y sommes très attachés. C'est un professeur de Stanford qui organise cela. Et puis, de manière générale, les jeunes prêtres donnent l'impression d'être solides, costauds, conservateurs, traditionalistes. Ce qui est étonnant, c'est l'étonnement de ces milieux progressistes qui s'imaginaient que le christianisme pourrait continuer sur la lancée progressiste, qu'il y aurait des vocations sacerdotales au bout de 25 ans qui resteraient semblables à ce qu'avait été la leur dans les années 60. Il suffit de réfléchir, n'est-ce pas, c'est absolument impossible. Pour qu'il y ait vocation, il faut qu'il y ait un motif d'engagement, qui ne pourrait pas être la dissolution générale et le laisser-aller. On a l'impression que cela n'était pas venu à l'esprit de ce clergé progressiste.

Quel est le rôle de l'Église catholique aux États-Unis ?

Déjà il y a trente ans, c'était les Catholiques les plus conservateurs qui étaient contre la guerre du Vietnam, parce qu'ils disaient : le pape a dit, le pape condamne. On peut dire : « Le pape a dit… » aux États-Unis. Les Protestants ont beaucoup plus conscience que les Catholiques eux-mêmes de l'unité catholique. Prenez l'intellectuel catholique, c'est quelque chose de très très important. Il y a un journal catholique qui s'est déclaré contre la guerre en Irak dès le début. Parce que le pape avait parlé, cela n'a pas posé de problème. Il faut dire qu'il y a quelque chose comme 13 000 églises protestantes aux EU… Ce que les Protestants voient c'est que l'unité catholique est en train de triompher du protestantisme. La papauté qui a été tant maudite aux États-Unis manifeste aujourd'hui pour tous l'unité. Certains considèrent même que le pape reste la seule voix qui puisse parler pour l'Occident dans son ensemble.

Vous estimez que la guerre en Irak est une erreur ?

Ce que Bush a fait de terrible c'est qu'il a discrédité une résistance raisonnable de l'Occident au terrorisme islamiste, une attitude qui soit raisonnable mais ferme en même temps. Aujourd'hui l'Américain moyen n'est pas prêt à résister. Devant ses yeux, on a utilisé à des fins politiques locales une situation qui en elle-même est grave et sérieuse. Du coup, on s'est interdit une véritable stratégie vis-à-vis de ces problèmes. Aujourd'hui la situation politique est tellement tendue qu'aux États unis en tout cas, l'on rend la situation psychologiquement impossible pour les musulmans. Ils ont conscience du mensonge dans lequel vit la communauté dont ils font partie. Mais ils ont des supériorités sur nous, ils sont vertueux d'une certaine façon, dans le matérialisme ambiant.

Je pense qu'étant donné la situation actuelle, s'en prendre trop à l'islam, c'est mettre les musulmans dans une situation impossible. Je ne dis pas qu'il ne faut pas dire aux islamistes leur fait… Mais vous comprenez, il y a ce refus absolu de la violence que devrait être le christianisme. Mais comme sur ce point, le christianisme n'a pas toujours été vraiment chrétien, de fait, c'est difficile de faire la leçon aux autres… C'est un peu comme les Américains qui essaient d'expliquer aux Chinois et aux Hindous qu'il ne faut plus de voiture !

Que pensez-vous de l'évolution de la démocratie américaine ?

Le génie de la démocratie américaine, c'est que tout finissait par se passer au centre. Et cela parce que chacun des deux partis - Républicain et Démocrate - contenait son contraire comme une minorité à l'intérieur de lui-même. Les démocrates, réputés plus à gauche selon les critères européens, comptaient dans leur sein les démocrates du sud – les fameux sudistes – qui, pour des raisons historiques, étaient très réactionnaires. Aujourd'hui les sudistes sont devenus républicains ! C'est une victoire de l'idéologie, l'idéologie est devenue sans limites, il n'y a plus que de l'idéologie et par conséquent les rapports s'aigrissent… Chez les Républicains aussi il y avait des gens qui étaient plus libéraux, des gens qui étaient très modérés, qui représentaient un milieu très modéré à l'intérieur du Parti conservateur. Et donc des deux côtés la majorité était en quelque sorte modérée par une minorité qui ressemblait à l'autre parti. Il n'en est plus de même aujourd'hui ! De toute façon l'Amérique s'idéologise beaucoup trop ce qui empêche que soient prises des décisions raisonnables. Des décisions qui ne soient pas inspirées par la politique, par le souci politicien. On a vraiment l'impression parfois, nous autres Français, que les EU sont en train de s'enfoncer dans une troisième ou une quatrième république… à la mode de chez nous…


Entretien réalisé par Arnaud Guyot-Jeannin et l'abbé G. de Tanoüarn

Éditorial - Une religion comme une autre ? - Laurent Lineuil

Objections - n°12 - décembre 2007 - page 8

Éditorial - Une religion comme une autre ?

Ce sont les catholiques français qui le disent : d’après un sondage Ifop publié dans La Croix le 12 novembre, ils sont 60 % des catholiques non-pratiquants, et 63 % des pratiquants à considérer que « toutes les religions se valent ». Consternation supplémentaire : les catholiques pratiquants sont un peu plus nombreux à penser cela, et, que l’ensemble des Français, qui n’émettent ce jugement “qu’à 62 %”.

Ainsi donc, si l’on en croit ce sondage, les deux-tiers des catholiques qui vont à la messe “régulièrement” pensent que le catholicisme est une religion comme une autre, ni meilleure, ni pire. Plus inquiétant encore, ils sont donc plus nombreux encore à croire cela que les non-pratiquants. Comme si la seule chose qu’on apprenait dans les prêches dominicaux, c’était le mépris de soi et la survalorisation de l’autre…

Si 59 % des pratiquants estiment que les chrétiens doivent être plus visibles dans la société (on se demande bien pourquoi, puisqu’ils sont comme les autres…), c’est dans l’objectif d’ « agir pour la paix dans le monde » (54 %) et de « lutter contre la pauvreté » (46 %), contre 34 % seulement (alors même que plusieurs réponses étaient possibles) qui estiment que « les Églises chrétiennes » ont prioritairement à faire connaître le « message du Christ »…

On le voit, Mgr André Vingt-Trois, qui s’était fixé comme objectif, dès son premier discours de nouveau président de la conférence épiscopale, de faire entendre davantage la voix des chrétiens dans la société, ne pourra majoritairement compter que sur des troupes incertaines et peu résolues. Mais à qui la faute ? L’Église de France ne fait que récolter ce qu’elle a semé, le fruit d’années de paroles hésitantes, de soumission zélée à la dictature du relativisme, de peur de déplaire triomphant du courage de témoigner. Car si tant de catholiques croient sincèrement avoir épousé une religion comme une autre, n’est-ce pas d’abord parce qu’ils ont des pasteurs qui sont trop souvent, au lieu de signes de contradiction, des hommes comme les autres, épousant le discours commun, paniqués à l’idée de se distinguer, de se faire remarquer, de jurer avec la logorrhée ambiante ? Combien d’évêques ont soutenu publiquement le combat de Mgr Cattenoz pour l’identité de l’école catholique ? Quel clerc rappelle que le catholicisme a en France des droits supérieurs aux autres religions – ou devrait en avoir -, ne serait-ce que compte tenu du rôle éminent qu’il a joué dans la construction de la nation ? Quel prélat a remué ciel et terre pour empêcher la destruction d’une église dans son diocèse, au nom, non des intérêts de l’Église, mais du bien commun ? Qui a relayé en France le document romain Dominus Iesus, publié en 2000 par la Congrégation pour la doctrine de la foi sous la signature du cardinal Ratzinger, qui réaffirmait qu’ « il serait clairement contraire à la foi catholique de considérer l'Église comme un chemin de salut parmi d'autres. Les autres religions seraient complémentaires à l'Église, lui seraient même substantiellement équivalentes, bien que convergeant avec elle vers le Royaume eschatologique de Dieu » ; et qu’au contraire les fidèles sont tenus de croire fermement que « l'Église est “sacrement universel de salut” [cf. Lumen Gentium] parce que, de manière mystérieuse et subordonnée, toujours unie à Jésus-Christ sauveur, sa Tête, elle a dans le dessein de Dieu un lien irremplaçable avec le salut de tout homme. » Mais pour y croire, encore faudrait-il avoir l’occasion de l’entendre.

Quant aux 66 % de catholiques pratiquants qui n’ont pas pensé à citer l’annonce du message du Christ parmi les missions prioritaires de l’Église, ont-ils souvent entendu leurs pasteurs prêcher sur cette phrase de la 1ère épître aux Corinthiens ? « Annoncer l'Évangile en effet n'est pas pour moi un titre de gloire ; c'est une nécessité qui m'incombe. Oui, malheur à moi si je n'annonçais pas l'Évangile ! » Et malheur aux pasteurs qui sont, pour leur troupeau, de si piètres éducateurs.

Laurent Lineuil

jeudi 15 novembre 2007

Le scénario de l'espérance - Abbé Guillaume de Tanoüarn

Objections - n°11 - novembre 2007 - page 1

Le scénario de l'espérance - Abbé Guillaume de Tanoüarn

Nous en avons plusieurs témoignages oraux : le 11 septembre dernier le Conseil permanent de l'épiscopat français a commencé d'élaborer une ligne de conduite commune, face aux traditionalistes. L'événement est passé inaperçu. Sa signification risque bien pourtant d'être considérable. Au cours de cette réunion, chacun s'est répandu sur le peu de demandes suscité par le Motu proprio Summorum pontificum, dans lequel, le 7 juillet précédent, le pape Benoît XVI octroyait aux fidèles catholiques le libre choix du rite traditionnel. Voilà en tout cas ce que La Croix a retenu de ce débat mitré : il y a peu de demandes.

Le raisonnement des Eminences et des Excellences est simple : s'il y a peu de demandes, on peut y satisfaire. Avec les moyens du bord. Avec le peu de moyen, avec le petit nombre de prêtres en activité dans les diocèses. Pas question d'accepter des transfusions de sang neuf. Notre effectif, déjà réduit et faisant face aux regroupements paroissiaux (une paroisse pour cinq dix ou vingt clochers) est tout à fait en mesure de faire face à ces nouvelles demandes... puisqu'elles sont peu nombreuses.

Deux exemples tout récents de cette nouvelle attitude collective pourraient bien défrayer la chronique dans les jours à venir. L'évêque de Marseille, Mgr Pontier, a exigé que les fidèles attachés au rite traditionnel, qui, sous sa juridiction, avaient trouvé refuge dans l'église Notre Dame de la Palud, en plein Centre ville, quittent cette église (qui sera désormais fermée : une de plus !) et rejoignent l'église voisine de Saint-Charles. La messe traditionnelle y sera dite par des « prêtres de passage » (sic), en attendant les dimanches où forcément, il ne s'en trouvera pas... à passer. Cette solution a paru tellement énorme et si mal bricolée que les fidèles ont déjà obtenu un moratoire d'un mois pour sa mise en application.

Deuxième exemple : à Avignon, l'évêque Mgr Cattenoz, plus avisé et conscient qu'il ne dispose pas forcément chez lui de prêtres capables de célébrer la messe selon le rite traditionnel, vient d'annoncer la création d'un groupe de prêtres, anciens des Fraternités traditionalistes désormais incardinés, comme à Versailles ou à Lyon, ou encore prêtres diocésains souhaitant célébrer le rite traditionnel et qui l'apprendraient au sein de ce groupe. Le nom choisi par l'évêque est à lui seul tout un programme : Totus tuus. Pas question en effet de collaborer avec des prêtres qui ne seraient pas tout à soi, c'est bien l'esprit de la réunion du 11 septembre dernier.

C'est en effet le deuxième volet que comporte cette réunion. A la faveur du silence gardé par le pape Benoît XVI dans son Motu proprio sur les Communautés traditionalistes, il a été décidé qu'elles resteraient, les unes et les autres, le plus possible, privées de toute extension nouvelle. Face à d'éventuelles demandes, le slogan des évêques est simple : « On a les mêmes à la maison ».

Simple et pas vraiment nouveau. C'était déjà au nom d'un tel slogan que l'archevêque de Lyon, Mgr Barbarin avait unilatéralement dénoncé le contrat qui liait son diocèse à la Fraternité Saint Pierre, en incardinant lui-même trois prêtres dissidents de cette Fraternité et en leur donnant l'église que le cardinal Albert Decourtray avait naguère mise à la disposition de la Fraternité Saint Pierre. Ce coup de force épiscopal se justifiait suffisamment aux yeux du jeune et nouveau leader de la chrétienté lyonnaise par ce simple bénéfice : désormais ces prêtres traditionalistes sont tout à moi !

Ce que les évêques pris en corps n'ont pas compris, c'est que cette politique d'exclusion, manifestement concertée, est révoltante et contraire au sens commun. Lorsque le bateau coule, demande-t-on à ceux qui se présentent pour écoper s'ils font partie du personnel embauché au départ ? Et lorsque les Twin towers se sont effondrées, a-t-on demandé aux sauveteurs leur brevet de pompier du port de New York. C'était en 2001, mais c'était déjà... un 11 septembre.

Je suis persuadé qu'il existe un autre scénario que ce scénario catastrophe, celui que le Saint Père suggérait dans l'exhortation apostolique Sacramentum caritatis (n°25) : « Un travail de large sensibilisation est nécessaire. Les évêques impliqueront dans les nécessités pastorales les Instituts de vie consacrée et les nouvelles réalités ecclésiales dans le respect de leur charisme propre, et ils solliciteront tous les membres du clergé à une plus grande disponibilité pour servir l'Eglise là où il en est besoin, même au prix de sacrifices ». C'est à ce scénario d'espérance que nous devons tous travailler.

Abbé Guillaume de Tanoüarn

Les ordinations du 22 septembre - Abbé Paul Aulagnier

Objections - n°11 - novembre 2007 - page 2

Les ordinations du 22 septembre - Abbé Paul Aulagnier

À Saint-Éloi, siège de l’Institut de Bon Pasteur, à Bordeaux, cinq ordinations sacerdotales ont eu lieu.

Ce fut un grand jour. Un jour de fête, bien sûr. Un jour de joie pour les ordinants, pour leurs familles et amis, pour leurs supérieurs. Pensez ! Cinq diacres recevaient l’ordination sacerdotale des mains du cardinal Castrillon Hoyos, collaborateur très proche du Pape Benoît XVI, en présence du cardinal Ricard, archevêque de Bordeaux, président de la conférence épiscopale des évêques de France. Jour de joie aussi – et peut-être surtout – par les paroles prononcées par le cardinal dans son homélie. Il nous rappela, certes, les devoirs du prêtre: la prière, l’importance de l’offrande du sacrifice de la messe, comme sacrifice du Christ, la nécessité d’enseigner toutes les Nations dans la foi du Christ, gardée par l’Église, la dévotion mariale… Mais surtout, il nous rappela l’importance et la finalité de l’Institut du Bon Pasteur en termes qu’il faut souligner et ne pas oublier. À ce moment de son discours, il se tourna vers le cardinal Ricard pour rappeler son rôle dans la fondation du jeune Institut du Bon Pasteur (6 septembre 2006). Il dit : « c’est à sa bonté et à son sens pastoral que cet Institut du Bon Pasteur doit son existence. Il a bien vu, que, pour le service pastoral des fidèles catholiques liés à la Tradition liturgique antérieure, il faut des prêtres “spécialisés”. Notre Saint Père le Pape lui a donné raison en publiant, comme vous le savez, Summorum Pontificum » qui restaure dans sa dignité et son droit la messe tridentine, reconnaissant et affirmant qu’elle ne fut jamais abolie, reconnaissant qu’elle fut, de soi, et en droit toujours reconnue dans l’Église.

L’honneur est sauf ! Il poursuivit : « Si nous célébrons aujourd’hui la Sainte Messe selon ce Missel, c’est justement parce que les nouveaux prêtres seront appelés à ce service pastoral et nourrirons leur vie spirituelle comme celle des fidèles qui leur seront confiés, par cette vénérable liturgie romaine. Ils se consacreront volontiers à ce ministère ensemble avec leurs confrères et avec les prêtres, membres d’autres instituts spécialisés ».

Voilà enfin le rôle ecclésial de ces prêtres bien défini. L’expression spécialisés ne me plaît pas beaucoup…

J’aurais préféré entendre le mot, par exemple, spécifique, la charge spécifique, ou le rôle spécifique… Mais peu importe, le sens est le même. Et de toute façon, ces prêtres attachés à la liturgie « ancienne »sont enfin reconnus de droit. Leur ministère est enfin reconnu légitime dans l’Église. Ils sont et seront mis et devront être mis à la disposition de ces fidèles qui, eux-mêmes, veulent le maintien de cette liturgie pour en vivre, pour en nourrir leur vie spirituelle. Vous pouvez imaginer la joie que j’ai eu, que nous avons eu, nous les anciens, d’entendre ces paroles alors que, pendant 37 ans, nous avons vécu comme des « pestiférés » dans l’Église, ou comme des « lépreux »… si je me permets de reprendre une expression du cardinal Joseph Ratzinger. Ouf ! La guerre est finie. La paix liturgique va pouvoir enfin s’établir. Cette paix est de nouveau possible… Il suffit que les cœurs s’ouvrent à ce désir pontifical. Le cardinal Castrillon Hoyos est venu le dire et le redire en France pour nous et pour tous les autres. Il y faudra du temps, je pense. Mais plus rien, en droit, ne s’y oppose. Qu’on se le dise !

Ce fut dit à Bordeaux, le 22 septembre 2007, lors des ordinations sacerdotales, en l’église Saint-Éloi. Deo Gratias !

Et tout en écoutant ces paroles, je pensais dans mon cœur, en silence, aux paroles que Mgr Lefebvre prononcées le jour de son jubilé sacerdotal à la porte de Versailles, le 23 septembre 1979, il y a maintenant 26 ans: « Mon testament ! Je voudrais que ce soit l’écho du testament de Notre Seigneur : Novi et Aeterni Testamenti, c’est le prêtre qui récite ces paroles à la Consécration du Précieux Sang : “Hic est calix sanguinis mei, novi et aeterni testamenti”, l’héritage que Jésus-Christ nous a donné, c’est son Sacrifice, c’est son Sang, c’est sa Croix. Et cela est le ferment de toute la Civilisation chrétienne et de ce qui doit nous mener au Ciel. ».

C’est ainsi avec reconnaissance que nous, les anciens, nous entendions les paroles du Cardinal, nous rappelant l’intention du Pape: voir revivre sur les autels de la Chrétienté, la messe de « toujours », la Messe antique et vénérable.

Pour moi, la levée des peines canoniques, qui ont touché Mgr Lefebvre, n’est plus loin. Elle est pour demain. Le principe en est posé! Merci ! Très Saint Père.


« Si nous célébrons aujourd’hui la Sainte Messe selon ce Missel, c’est justement parce que les nouveaux prêtres seront appelés à ce service pastoral et nourrirons leur vie spirituelle comme celle des fidèles qui leur seront confiés, par cette vénérable liturgie romaine. Ils se consacreront volontiers à ce ministère ensemble avec leurs confrères et avec les prêtres, membres d’autres instituts spécialisés »
Cardinal Castrillon Hoyos,
Bordeaux, 22 septembre 2007


Ce même 22 septembre, à Toulon, Mgr Dominique Rey, évêque du diocèse, a célébré une messe pour ordonner prêtre Jean-Raphaël Dubrule, ancien grand clerc à Notre-Dame-des-Armées et membre d’un nouvel Institut de droit diocésain, les Missionaires de la Miséricorde, fondé par l’abbé Fabrice Loiseau, par ailleurs curé, en ville, de l’église Saint-François-de-Paule. Au cours de la même cérémonie Éloi Gillet faisait le grand pas : il était ordonné sous-diacre.

L’événement - Niafles en Mayenne : sur le front de la Messe

Objections n°11 - Novembre 2007 - page 3

L’événement - Niafles en Mayenne : sur le front de la Messe

L’église de la Roë, habituellement close, est comble ce dimanche 16 septembre pour la messe de saint Pie V. Dans l’après-midi, il y avait encore une cinquantaine de personnes pour le Salut du Saint Sacrement. En cette « fête de la Tradition», tout semblait être pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais les traditionalistes du sud de la Mayenne revenaient de loin. Depuis 1965, l’abbé Chéhère s’occupait de la paroisse Saint-Martin de Niafles. Le concile l’avait laissé de marbre, semble-t-il. Pourtant il ne célébrait pas selon le rite de saint Pie V, mais suivant « un rite hybride », comme me dit Matthieu, jeune paroissien de Niafles. Arrive l’abbé Loddé, de la FSSP. C’est la messe tradi dans toute sa pureté. Las… Le décès de l’abbé Chéhère, le 6 mars, devait tout remettre en cause.

« M. l’abbé Loddé assurera la messe le dimanche ici. Pendant ce temps une réflexion sera engagée, en vue d’une décision définitive. » déclare d’abord Mgr Maillard évêque de Laval. Le 23 mai, retour en arrière: « Niafles ne serait plus un lieu de rassemblement des fidèles traditionalistes… » . Et l’évêque de proposer en remplacement une messe dominicale à l’église des Cordeliers, à Laval. Mais Laval se situe à plus de 45 minutes de Niafles.

Dans la nuit du dimanche au lundi de Pentecôte, une poignée de fidèles, après avoir assisté à la dernière messe de l’abbé Loddé, décidèrent de “garder” l’église envers et contre tout. L’affaire prenait alors toute son ampleur. C’était la guerre. Au cri de « l’église est aux Niaflais », 200 personnes marchaient sur Saint-Martin de Niafles, maire socialiste en tête. Michel Montécot a des convictions religieuses très floues mais ce n’est pas la première fois qu’il s’immisce dans les affaires de la paroisse.

Ce qu’il faut appeler un siège a vu naître, contre la Tradition, un déferlement de haine. Montécot évoque une communauté essentiellement étrangère à Niafles, plus particulièrement durant les vacances. Des statistiques nous révèlent pourtant que seuls 20 % des fidèles sont extérieurs au doyenné de Saint-Clément de Craon.

Après que, par deux fois, la porte de la sacristie ait été défoncée par les manifestants, les gendarmes ont dû évacuer les “gardiens” de l’église. Et le maire, en guise de conclusion, a clôturé les abords de l’église.

Pour les traditionalistes, l’errance commence. Ils devront célébrer leur première messe de “déracinés” en forêt de Ballots, au pied de la statue de Notre- Dame de Pontmain. Pendant ce temps, une messe de Paul VI en français était dite dans l’église de Niafles. Une publication locale allait jusqu’à titrer : « La messe en français revient. » Des prêtres sont venus de Paris pour célébrer la messe derrière des églises fermées. Une centaine de personnes. Par tous les temps. Niafles était devenu un symbole. Celui de la défense des libertés de la tradition, celui de la résistance à l’intégrisme moderniste.

Y a-t-il eu pression de Marcel Nezan, le vicaire général ? Certains paroissiens disent avoir vu l’ecclésiastique lors de la manifestation organisée par le maire de Niafles. Mais Mgr Maillard, lui, n’est pas un intégriste du progressisme. Il joue les naïfs : « On pensait qu'avec le temps, les gens oublieraient cette messe! […] c'est le contraire, ce sont principalement des jeunes » souligne-t-il.

L’évêque a d’abord permis que la messe traditionnelle se célèbre en plein centre de Laval, dans l’église des Cordeliers. Ensuite, face à la pression des fidèles, il a ouvert au culte traditionnel deux églises proches de Niafles, celle de la Roë et celle de la Selle-Craonnaise. La détermination des fidèles a payé. Face à l’agression.

Gabriel Dubois

C’est à lire - Un évêque avoue…

Objections - n°11 - novembre 2007 - page 4

C’est à lire - Un évêque avoue… - Abbé G. de Tanoüarn

Il y a un malaise dans l'Église de France. Un malaise qui ne date pas d'hier. Les fidèles les plus introduits le ressentent sans pouvoir toujours définir ce qu'ils perçoivent. Et si l'un ou l'autre, sur ce registre, cherche à en remontrer à son curé ou à son évêque, il prend le risque de passer pour Gros Jean et de se faire traiter comme tel, ce qui à partir d'un certain âge n'est pas forcément très agréable, on en conviendra.

Mgr Maurice Gaidon a été un évêque en vue dans cette Église qui est en France. À la tête d'un petit diocèse, le diocèse de Cahors, 160000 habitants, il a joué un rôle capital dans l'introduction du Renouveau charismatique chez nous. Aujourd'hui, alors que l'âge de la retraite a sonné pour lui, il publie un petit livre (fort bien écrit ce qui ne gâte rien), où il entreprend avec courage son examen de conscience d'évêque, histoire, comme il le reconnaît lui-même, de se préparer au grand passage.

Il revient sur certains moments forts de son existence, avec beaucoup de sensibilité et une véritable piété. Il évoque les épreuves personnelles qu'il a traversées et toujours surmontées par le haut. Il propose enfin à l'attention de tous, quelques critiques fondamentales, qui devraient permettre, si elles étaient entendues, de sortir du malaise.

La liturgie d'abord: il ne s'agit pas seulement de contester des excès . « J'ai très mal vécu la réforme liturgique, imposée au détour d'un dimanche, avec un autoritarisme clérical insupportable. L'histoire de l'Église m'avait appris que l'on ne touche pas impunément aux rites et au langage symbolique. Le passage en force à la langue vernaculaire, la nouvelle disposition de l'autel, la place et le rôle du célébrant, la mise sur le marché de chants liturgiques composés à la hâte : que de bouleversements en peu de temps et quelles portes ouvertes aux improvisations des apprentis sorciers, sous l'oeil paterne et parfois complaisant d'un épiscopat atteint d'aphasie ».

La pastorale ensuite, avec son sinistre marquage idéologique, toujours d'actualité. « J'ai très mal vécu les orientations pastorales qui se sont imposées sous l'influence de courants qui, par générosité, ont donné abondamment dans l'idéologie régnante des années 60 et 70 ».

Ce que déplore Mgr Gaidon, c'est le conformisme de ses confrères : « Paralysie… ou manque de liberté d'expression de la foi ? D'où vient cette impression d'étrange torpeur que je ressens au contact de nos communautés désorientées, de nos prêtres désabusés, de mes frères évêques au silence peureux dans nos assemblées. Où est le courage des prophètes dont parlait, à Lourdes le cardinal Etchegaray ? ».

Je ne peux pas tout citer ici. Mais l'on voit bien qu'il s'agit d'une véritable bombe. Pour la première fois depuis 30 ans, en France, un évêque parle et dit tout haut ce que beaucoup s'interdisaient même de penser.

Abbé G. de Tanoüarn


Mgr Maurice Gaidon, Un évêque français entre crise et renouveau de l'Église, Éditions de l'Emmanuel 2007, 15 euros.

Facta sunt

Objections - n°11 - novembre 2007 - page 4 et 5

Facta sunt

  • Les imams de la Catho (voir p. 8) font couler beaucoup d'encre, et pas seulement chez les cathos. L'UOIF, faction majoritaire dans le Grand Conseil du Culte Musulman, a récemment pris position contre ce projet : « Nous ne sommes pas contre le principe de collaborer avec une université, mais il faut un cadre académique neutre » déclare leur porte-parole Ahmed Jaballah. Dans sa réponse à l'UOIF, Dalil Boubakeur, unique partenaire musulman sur ce projet, souligne que l'enseignement reçu à la Catho devrait permettre aux apprentis imams d'obtenir le statut d'étudiant, prestations sociales en prime.
  • Serge de Beketch est mort, après s'être longtemps battu contre le mal qui le rongeait, dans la nuit du 6 au 7 octobre. Directeur du Libre journal de la France courtoise, animateur d'une émission très écoutée le mercredi sur Radio Courtoisie, il nous laisse le souvenir d'une prodigieuse rhétorique, au service de toutes les causes qui lui paraissaient nobles, à commencer , pour lui, par celles qui étaient le plus difficile à défendre. Sa faculté d'indignation contre les pourris de tout pelage ne lui a pas permis de faire la carrière nationale que son talent aurait mérité. Ces saintes colères lui ont coûté trop cher sur la terre pour que Dieu ne les lui compte pas au Ciel.
    Nous prions pour lui.
  • Un parmi d'autres, Mgr Wattebled, évêque de Nîmes, déclare, au cours d'une rencontre avec ses prêtres, le vendredi 7 septembre: « Mieux vaut ne pas faire appel à des prêtres extérieurs au presbyterium diocésain », lorsqu'on se trouve devant une demande de célébration de la messe traditionnelle. Et il ajoute, histoire sans doute de montrer où penche son coeur: « Pour les services religieux, l'objet de la demande des familles porte souvent sur quelques chants latins plutôt que sur l'usage d'un missel. Les familles ou le groupe stable n'ont pas d'exigence à faire valoir en ce qui concerne la disposition du choeur ou les ornements ». Et de conclure à propos du motu proprio : « On regarde ceux qui se rapprocheront peut-être. Mais on oublie ceux que cela contribue à éloigner insensiblement par exemple les divorcés remariés, les protestants, pour qui il n'y a pas de motu proprio ».
  • Le piège que craint Mgr Wattebled dans cette affaire de motu proprio, il l'écrit dans ce compte rendu de réunion qu'il a signé, c'est celui que lui tend tous les jours France Telecom: « Attention, nous pouvons même nous faire piéger au téléphone. Peut-on réellement prendre une attitude différente selon qu'il s'agit d'un prêtre de la Fraternité Saint Pierre (en communion avec Rome) ou de la Fraternité Saint Pie X (lefebvriste) surtout dans le court délai et le lourd contexte de la préparation des funérailles. Dans la même église pourront être célébrés des funérailles avec messe tridentine et des funérailles pris en charge par des laïcs. Comment la population va-telle s'y retrouver? ». Pour être sûr de ne pas tomber dans le piège, et pour que la population du diocèse puisse s'y retrouver, autant envoyer les gens ailleurs : « Les personnes intéressés et motivées peuvent trouver des célébrations à l'extérieur du diocèse: Le Barroux, la chapelle des Pénitents à Avignon, Montpellier ». À chaque fois près de 100 km!
  • Le cardinal Barbarin, dans Le Progrès de Lyon, vante son aptitude personnelle au dialogue interreligieux : « Tous les ans, à Yom Kippour, je vais par exemple à la Synagogue. Quand j'étais vicaire, il y a trente ans dans la banlieue de Paris, j'y allais déjà avec mon livre de prière en hébreu et ma kippa. Nous n'avons pas d'équivalent dans la liturgie catholique ».
    On peut indiquer respectueusement au cardinal qu'une confession sacramentelle agissant ex opere operato vaut bien la fête juive du Grand Pardon.
  • Bon vent : Mgr Pontier, évêque de Marseille (voir p. 1), a déclaré aux fidèles qui venaient le voir pour tenter de s a u ver leur communauté traditionnel le de Notre-Dame-de-la-Palud, qu'il leur donnait pour aumônier l'abbé X « qui viendra quand il pourra ».
    Réponse d'un laïc : « Savez- vous qu'en faisant cela, vous prenez le risque de nous renvoyer tous à la Fraternité Saint Pie X – C'est devant Dieu que j'en prends le risque » a répondu l'évêque. S'il prend ce risque devant Dieu, autant mettre sa réponse au grand jour : devant les hommes.

C’est à voir - Arcimboldo ou les prodiges du baroque

Objections - n°11 - novembre 2007 - page 5

C’est à voir - Arcimboldo ou les prodiges du baroque

Giuseppe Arcimboldo (1527-1593), peintre milanais ayant exercé ses talents à Prague, à la Cour de l'empereur Rodolphe II, porte jusqu'au surréel le génie du XVIe siècle renaissant et baroque. Ses compositions d'allégories ou de portraits, peints à partir de motifs de fleurs, de fruits ou d'objets de to u tes sortes apparaissent d'abord comme des curiosités, curiosa, au sens où l'on a parlé jusqu'au XVIIIe siècle de “cabinets de curiosités”, c'est- à- dire de collections d'objets étranges ou surprenants.

Surprise, c'est en effet le premier sentiment qui étreint le visiteur face à ces tableaux. Caractéristique de cette attira n ce particulière qu'a su créer le peintre italien, cette exposition qui se tient à l'Orangerie du Palais du Luxembourg et qui attire d'habitude le Tout-Paris huppé (ou se croyant tel) a accueilli cette fois et dès les premiers jours beaucoup d'enfants, qui sont immédiatement sensibles aux prouesses picturales d'Arcimboldo. La rétrospective est brève puisque l'Orangerie ne comporte que quatre salles, mais le spectacle n'est pas décevant : là un bibliothécaire dont le portrait est entièrement réalisé avec des livres ; ailleurs l'homme de loi ou le paysan ; ici le cuisinier impérial, dont la tête, émergeant d'une sorte de fait-tout, apparaît comme dessinée et réalisée uniquement à partir des aliments que ce maître queux emblématique sait apprêter pour son Maître, volaille plumée ou cochon de lait. Peindre un cuisinier en croûte ou en sauce, quoi de plus burlesque? Mais aussi quoi de plus sérieux ? N'a-t-on pas trop vite fait de devenir sa fonction, de s'identifier à elle? N'est-on pas un peu responsable de son visage avec l'âge ? Pour manifester la virtuosité invraisemblable de l'artiste, ce portrait est réversible. Il est présenté, ainsi que deux autres oeuvres, au-dessus d'un miroir. On découvre, à l'envers, un portrait tout aussi crédible du même personnage, sortant cette fois du couvercle du fait-tout. Sensible à ces prodiges de peinture, l'empereur Rodolphe II n'a pas dédaigné de commander au peintre son propre portrait en Vertumne, c'est-à-dire en annonciateur du printemps de ses sujets.

La recette d'Arcimboldo n'a pas eu de continuateurs. Mais il ne faudrait pas voir dans ces tentatives de simples jeux de pinceaux. La composition principale du peintre, qui met en parallèle les quatre saisons et les quatre éléments de la Physique traditionnelle, l'eau, l'air, le feu et la terre, nous rappelle que pour un homme du XVIe siècle, l'ordre universel se représente en une multitude d'analogies. S'il existe un ordre du monde, on ne peut le saisir qu'à travers les ressemblances qui renvoient indéfiniment leur jeu de correspondances. « Les parfums les couleurs et les sons se répondent » disait Baudelaire, qui excellait à nous faire entendre la musique des mots chantant ces analogies. Arcimboldo, avec les moyens extraordinaires de son art, nous les met sous les yeux.

GT


Jusqu'au 13 janvier 2008. Musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard - Paris VIe. Entrée 13,20. Gratuit pour les moins de 10 ans.

L’humeur - Reims a mille ans ! - Pierre Voisin

Objections - n°11 - novembre 2007 - page 6

L’humeur - Reims a mille ans ! - Pierre Voisin

Le 22 septembre 1996: à Reims, le pape Jean-Paul II commémore le 1500ème anniversaire du baptême de Clovis. Il lance aux Français un appel pressant : « Ce grand jubilé doit vous amener à dresser un vaste bilan de l’histoire spirituelle de "l'âme française". » Seize ans plus tard, le millénaire de la basilique Saint-Rémi, nous y invite à nouveau.

Voilà mille ans, en effet, que fut construite, à la place de l’ancienne abbatiale carolingienne où se trouvait déjà conservée la tombe de l'évêque Rémi, une imposante basilique, qui fut d'abord romane, puis gothique. Si « l’âme française », qu’évoquait le pape, n’est pas née à Reims – ou pas seulement –, elle y a trouvé les conditions matérielles de son développement sous le signe des lys, la fleur de Marie, quand tant d’autres royaumes choisissaient pour symboles des bêtes de proie. Dans la ville des sacres sont nées les images qui ont nourri au fil des siècles la mémoire collective de la nation française.

Première d'entre elles, celle du roi des Francs descendant dans le baptistère rémois avec trois mille de ses guerriers: « Courbe-toi, fier Sicambre… » Et le roitelet barbare courbe la tête devant le Dieu de Clotilde, ce Dieu des armées qui, quelques années auparavant, lui donna la victoire à Tolbiac.

Autre image, fixée au IXe siècle par l’évêque Hincmar, dans sa vie de saint Rémi: « Le chrême vint à manquer et, à cause de la foule du peuple, on ne pouvait aller en chercher. Alors, le saint prélat, levant les yeux et les mains au ciel, commença à prier en silence, et voici qu’une colombe, plus blanche que la neige, apporta dans son bec une petite ampoule pleine de saint chrême. » C’est ce Saint Chrême qui servira aux sacres de nos rois. Il est de bon ton, en notre époque de scepticisme, de douter du miracle au nom de la science historique. Pour nos pères, le symbole de la sainte ampoule avait assez de force pour qu’en 1793, le conventionnel Rühl jugeât prudent de la briser sur le socle de la statue de Louis XV…

C ’est dans le tombeau même de saint Rémi que la relique était conservée et qu’allaient la chercher les chevaliers de la sainte ampoule pour l’apporter de la basilique à la cathédrale, où le roi était sacré: ainsi procédèrent, le 17 juillet 1429, quatre compagnons de Jeanne d’Arc, au nombre desquels figurait Gilles de Rai. Nouvelle image: Jeanne, transfigurée de bonheur et tressaillant d’allégresse, assiste à l’onction de Charles VII. Elle tient levé son étendard, frappé de la devise Jhesus Maria. Désormais, les Anglais peuvent bien aller faire sacrer à Notre-Dame-de-Paris leur petit roi godon, avec la bénédiction des éminents clercs et prélats de l’Université de Paris : Charles est légitimé.

« C’est quand la nuit nous enveloppe, rappelait Jean-Paul II à Reims, que nous devons penser à l’aube qui poindra, que nous devons croire que l’Église chaque matin renaît par ses saints. "Qui l'a une fois compris disait Bernanos – est entré au coeur de la foi catholique, a senti tressaillir dans sa chair mortelle (…) une espérance surhumaine." » Ce passage cité par le pape était extrait de Jeanne, relapse et sainte. Et si Reims conservait les clés de notre avenir ?

Pierre Voisin

C’est eux qui le disent…

Objections n°11 - Novembre 2007 - page 6

C’est eux qui le disent…

  • À propos des cinq ordinations de l'Institut du Bon Pasteur, le curé de Paissac, le 22 septembre s'exprime sur TF1: « Ces ordinations signifient le retour à une Église que nous détestons, l'Église qui nous dit ce que l'on doit croire ». Jusqu'à plus ample informé, aucun blâme sur cette sortie, qui, c'est le moins que l'on puisse dire, va au fond des choses et donne raison aux critiques traditionalistes les plus virulentes.

  • Alain Finkielkraut donne son avis sans fard sur Bernard-Henry Lévy le très médiatique conseilleur de Ségolène Royal : « Sa pensée à la fois généreuse et vaine tente deconcilier deux traditions incompatibles : l'antitotalitarisme et l'antifascisme, la défense des dissidents et la dénonciation permanente de l'idéologie française. Or depuis 1945, l'antifascisme et son successeur l'antiracisme ont servi d'alibi d'abord au pouvoir communiste, mais ensuite à la gauche française. BHL a tendance à faire sien ce conte pour enfants d'une gauche vigilante et d'une droite complaisante. ». Pour reprendre le titre du dernier livre de BHL, il est clair que la gauche est aujourd'hui « ce grand cadavre à la renverse ». Idéologiquement en état de décomposition avancée.

  • De George Bush, vendredi 5 octobre sur la Chaîne Al Arabiya : « Avant tout, je crois en un Dieu tout-puissant et je crois que tout le monde, qu'il soit musulman, chrétien ou autre prie le même Dieu. Je crois que l'islam est une grande religion qui prêche la paix et je crois que les gens qui tuent des innocents pour atteindre des objectifs politiques ne sont pas des religieux. » Parole de président !

  • Le Spectacle du Monde propose en Une un titre retentissant : « Église catholique : le renouveau de la tradition ». Il s'agit évidemment du renouveau que l'Église catholique doit à sa tradition. Cela va sans dire et mieux en le disant.

L’entretien du mois - Père Alexandre Siniakov

Objections n°11 - Novembre 2007 - page 7

L’entretien du mois - Père Alexandre Siniakov

Le P. Alexandre Siniakov a été nommé par Alexis II patriarche de Moscou et par le Synode de l'Église russe secrétaire pour les relations avec les Églises et la société, auprès de l'archevêque Innocent de Chersonèse à Paris. Il répond à nos questions sur la signification de la visite du patriarche Alexis II à Notre-Dame de Paris le 3 octobre dernier.


Père Alexandre, qu'est-ce qui s'est passé à Notre-Dame de Paris le 3 octobre dernier ?

Par sa visite solennelle à Mgr André Vingt-Trois dans la cathédrale de Paris, le Patriarche a souhaité établir un contact entre deux Églises soeurs , l'Église orthodoxe russe et l'Église catholique en France. C'est la première fois qu'un Patriarche de Moscou fait ce geste. Il a souhaité d'abord vénérer la Couronne d'épines, qui est certainement la relique la plus insigne du monde chrétien. Il s'est également adressé aux catholiques et aux orthodoxes qui vivent en France. Aux catholiques, il a dit son désir de travailler avec eux, de témoigner avec eux (en particulier sur les sujets de société sur lesquels les orthodoxes ont la même position que les catholiques, pour simplifier tout ce qui concerne la lutte contre la culture de mort). Il a voulu selon ses propres paroles qu'il soit possible de proclamer l'Évangile avec les catholiques dans nos pays. Aux orthodoxes, il a rappelé la nécessité de l'unité dans la diversité. Auparavant Mgr Vingt-Trois, saluant le Patriarche dans un discours appelé à faire date dans l'histoire des relations entre les catholiques et les orthodoxes, a rappelé son attachement au développement des relations entre catholiques et orthodoxes. Il faut souligner que beaucoup de chaînes de télévision de l'Europe de l'Est ont retransmis tout ou partie de cette cérémonie hautement significative.

Cette visite marque un climat nouveau dans les relations entre les catholiques et les orthodoxes. Le Pontificat de Benoît XVI représente-t-il un tournant à cet égard ?

Jean-Paul II a accompli des gestes très importants mais il s'est trouvé devant des difficultés objectives de plusieurs ordres liées d'abord aux énormes changements de la situation des chrétiens orthodoxes en Russie. Il y a eu l'Église gréco-catholique en Ukraine qui a revendiqué un certain nombre de bâtiments, ce qui a engendré des conflits. Nous avons contesté également non pas tant la nomination d'un évêque catholique mais la création d'une Conférence épiscopale à Moscou en 2002. Nous sommes attachés en effet à l'apostolicité de nos Églises. C'est ainsi qu'à Paris l'évêque Innocent, qui s'occupe des orthodoxes rattachés au Patriarcat de Moscou, est titulaire de Chersonèse en Ukraine, cette ville qui a été comme le baptistère de la Russie. Enfin, il faut bien reconnaître que Jean-Paul II a payé les frais des relations très difficiles entre la Pologne et la Russie. Pendant des siècles pour nous, catholiques et Polonais ont été deux mots pratiquement synonymes. C'est sans doute cela d'abord qui a fait que Jean-Paul II n'a pas pu aller à Moscou malgré son désir.

Vous pensez que la visite du pape à Moscou est envisageable aujourd'hui ?

L'Église russe a conscience que la visite d'un pape ne peut pas être sans conséquences. Il ne s'agit pas seulement d'un événement médiatique plus ou moins réussi comme cela a été le cas naguère en Géorgie. Cela doit être l'aboutissement d'un processus profond, le signe fort d'une époque vraiment nouvelle et pour l'instant la situation ne semble pas entièrement mûre pour une telle visite. La volonté du Patriarche est qu'une telle rencontre puisse avoir lieu d'abord en terrain neutre après la publication d'un document commun portant et sur les problèmes doctrinaux et sur les problèmes de terrain que je viens d'évoquer. C'est ainsi que cette semaine, une Commission mixte catholique orthodoxe se réunit à Ravenne pour poser le problème essentiel des rapports entre Primauté et conciliarité. Nous sommes vraiment au coeur du sujet !

Vous définiriez-vous comme quelqu'un qui souhaite poursuivre l'oecuménisme sous toutes ses formes ?

Je crois que l'oecuménisme n'est vraiment possible qu'entre orthodoxes et catholiques. Avec les protestants, c'est beaucoup plus difficile, il y a un nombre de questions beaucoup plus grand à traiter et à résoudre. La première question pour un chrétien me semble-t-il, c'est la notion de l'Église et de la succession apostolique. Les catholiques et les orthodoxes reconnaissent ces deux dimensions de la foi. Pas les protestants. Je dirai que l'intérêt des catholiques pour leur propre tradition est perçu comme un signe positif dans le monde orthodoxe. Plus un catholique est catholique, plus il a de chance de s'entendre avec un orthodoxe. La grande Tradition latine du Premier Millénaire est le gage de la réconciliation. À prendre les mots dans leur sens le plus théologique, on peut dire qu'un orthodoxe vraiment orthodoxe se sent catholique, comme un catholique vraiment catholique se sent orthodoxe. Il me semble à ce sujet que le confessionnalisme est un fléau du monde contemporain, qui va de pair avec le relativisme. Le Conseil OEcuménique des Églises a récemment tancé Rome, en soulignant que selon eux « aucune Église ne peut prétendre posséder la plénitude de la catholicité et que chacune y participe à sa mesure ». Ces termes sont inacceptables pour les orthodoxes, qui estiment avoir la plénitude de la catholicité et qui attendent des catholiques qu'ils aient la même conception pour eux-mêmes. Notre adversaire commun est le relativisme.

Propos recueillis par l'abbé G. de Tanoüarn


Le P. Alexandre Siniakov en cinq dates

Né en 1981. Entre au monastère de Kostroma en 1996. Arrive en France en 1998, encore novice ; il est accueilli au Couvent des dominicains de Toulouse. Ordonné prêtre en novembre 2004. Nommé secrétaire en juillet 2006, il achève une thèse à l'École des Hautes Études sur Le recours à l'autorité de Grégoire de Nazianze dans les controverses christologiques.

Les paradoxes de la laïcité - Editorial - Laurent Lineuil

Objections - n°11 - novembre 2007 - page 8

Les paradoxes de la laïcité - Editorial - Laurent Lineuil

Le 24 septembre, on apprenait que l’Institut catholique de Paris, la fameuse « Catho » dont le chancelier est l’archevêque de Paris, Mgr Vingt-Trois, allait former des imams. Quoi donc, me direz-vous ? l’Église de France va-t-elle désormais assurer la formation théologique du clergé musulman? Vous n’y êtes pas : « Il s’agit, précise le maître d’œuvre de cette future formation, d’une formation sécularisante : nous n’aborderons pas de problématiques théologiques. » Au programme: un pôle culture générale (histoire de la modernité, des valeurs républicaines, des institutions françaises…), un pôle juridique (droits des religions, droits de l’homme…), un pôle d’ « ouverture au monde religieux » (sic)…

Dans le même temps que l’Église "qui est en France" s’occupait d’enseigner la modernité républicaine aux futurs prosélytes musulmans, la conférence des évêques de France, sous la signature de Mgr de Berranger (Saint-Denis) et Mgr Schockert (Belfort-Montbéliard), publiait le 1er octobre un communiqué sur le projet de loi sur l’immigration qui éclaire sur la lecture que nos évêques font des valeurs républicaines : « Les chrétiens,écrivent-ils, refusent par principe de choisir entre bons et mauvais migrants, entre clandestins et réguliers, entre citoyens pourvus de papiers, et d'autres sans papier. » Sans doute faut-il donc s’attendre à ce que la Catho enseigne aux futurs imams que le respect de la loi est un concept méprisable, la citoyenneté une fiction rétrograde et la France, un droit de l’homme…

La langue de buis de la collégialité

Pendant que nos évêques jouent la conscience "morale" de la République, il en est d’autres, Dieu merci, qui s’occupent de défendre les intérêts de l’Église. Une éminence déclarait ainsi, dans Le Monde du 16 septembre: « Certaines communes entreprennent aujourd’hui la destruction de leurs églises. La disparition de ces lieux spirituels ne devrait pas être possible, sauf procédure d’exception. Ce patrimoine culturel, même non protégé, même banal, doit être respecté. » Enfin un prélat courageux, me direz-vous, qui, après des mois de silence, s’élève contre le saccage du patrimoine religieux français ! Sans doute quelque évêque de combat, décidé à rompre avec la langue de buis de la collégialité ? Une fois de plus, vous n’y êtes pas, mais pas du tout ! Ce vaillant défenseur de nos églises, ce croisé (c’est lui-même qui emploie le mot) de la défense de notre patrimoine spirituel n’est autre… que le mirobolant Jack Lang.

Des évêques qui se muent en professeurs de laïcité, un ancien ministre socialiste qui est le seul à ramasser le drapeau du patrimoine religieux français : on a beau être habitué à marcher sur la tête, on n’en hésite pas moins entre l’hilarité et la consternation. On a beau être accoutumé à voir nos évêques se fourvoyer dans une conception fallacieuse de la laïcité – celle précisément que dénonce inlass ablement Benoît XVI sous le nom de laïcisme –, qui leur interdit de prendre toute position qui pourrait heurter les consciences modernes et faire douter de leur loyauté républicaine, et les ravale à un rôle d’experts en humanité, la pilule n’en reste pas moins rude à avaler. Et on rêve qu’un évêque français, en exercice celui-là, reprenne à son compte la charge tardive de Mgr Maurice Gaidon, ancien évêque de Cahors, contre l’affadissement de la parole épiscopale, dans ses récents Mémoires. Un évêque français entre crise et renouveau de l’Église: « J’ai l’impression d’avoir vécu ces années comme un lente dérive, au gré des modes et des langages convenus dans notre univers clérical et de me retrouver, à l’heure de mon ultime étape, dans un douloureux désarroi, envahi par le sentiment d’avoir subi passivement les prises de position et les décisions de mes frères en épiscopat et suivi avec eux la pente des compromis plutôt que d’user du langage rugueux et prophétique des témoins et annonciateurs d’une Parole qui est "un glaive". »

Réveillez-vous, Messeigneurs : il est plus que temps.

Laurent Lineuil